« Alexa, quel temps fera-t-il demain ? » demande-t-on à son assistant vocal, sans jamais s’interroger sur le fait que la voix qui nous répond est celle d’une femme. Pourtant, n’est-ce pas étrange? Nous nous adressons à de simples logiciels, mais leur accolons une identité de genre.
Une équipe de chercheurs danois s’est penchée sur le sujet. De leurs réflexions est né Q, le premier logiciel d’assistance vocale non-genré.
La prévalence des voix féminines
Malgré quelques exceptions, ce sont bien les voix féminines qui prévalent sur le marché des assistants vocaux et autres GPS. Ce n’est pas un hasard : les commerciaux se basent sur plusieurs études qui tendraient à montrer que le public réagirait mieux aux voix féminines. Ces dernières seraient, en effet, considérées comme plus chaleureuses ou encore, comme plus audibles. Plus étonnant, selon le docteur en communication Clifford Nass, les voix féminines seraient perçues comme plus enclines à nous aider à résoudre nos propres problèmes, tandis que les voix masculines seraient perçues comme autoritaires et nous imposeraient quoi faire.
Bien que défendu comme un choix purement commercial, plusieurs critiques ont dénoncé le sexisme de cette prévalence féminine. La journaliste Sara Salinas écrivait à ce sujet : « Siri, Alexa, Cortana et leur nombre grandissant de pairs ont été créées pour servir. Elles sont là pour recevoir des ordres, sans jamais exiger un « merci ». Et jusqu’à présent, pratiquement sans exception, elles sont créées pour être des femmes. »
En écrivant ces lignes, la journaliste demandait aux entreprises d’offrir systématiquement le choix d’une voix masculine et de cesser de considérer la voix féminine comme l’option par défaut. En réalité, ce que les chercheurs derrière Q proposent, c’est une troisième option : celle d’une voix non-genrée.
Penser le progressisme à travers les nouvelles technologies
Derrière le projet Q se cache des chercheurs spécialisés dans les nouvelles technologies, des designers sonores, des linguistes, ainsi que la Copenhague Pride et des agences de création de contenu digital.
« Les entreprises choisissent souvent de genrer leurs produits, pensant que les utilisateurs auront plus de facilité à l’adopter. Malheureusement, cela renforce une perception binaire du genre et perpétue des stéréotypes contres lesquels beaucoup se sont battus » nous expliquent les créateurs.
Pour créer Q, l’équipe a d’abord enregistré une vingtaine de voix appartenant à des personnes cisgenres masculines et féminines, à des personnes transgenres masculines et féminines et à des personnes non-binaires. Finalement, le designer sonore Nis Nørgaard s’est arrêté sur une seule voix : celle qui semblait être la plus neutre.
La voix a été retravaillée pour en tirer quatre variantes, lesquelles ont fait l’objet d’un sondage auprès de 4,500 européens. Encore une fois, une voix s’est démarquée comme étant la plus « neutre », positionnée à 153Htz, une fréquence que l’oreille n’identifie ni comme masculine, ni comme féminine.
Pourra-t-on bientôt entendre Q dans nos téléphones ?
Malheureusement, Q n’est encore qu’une voix, c’est-à-dire que le projet doit être implanté dans un logiciel pour devenir un.e véritable assistant.e vocal.e. Les créateurs tentent encore aujourd’hui de lui donner assez de visibilité pour qu’il soit adopté par les géants de la tech comme Google, Amazone, Apple et Microsoft.
Il n’empêche qu’à l’heure où la question du genre se fait de plus en plus présente dans le débat public et où certains pays ont choisi de légaliser l’existence d’un troisième genre sur l’état-civil, le projet a le mérite d’amener le débat sur le terrain des nouvelles technologies… Et pas n’importe lesquelles. En effet, le marché des assistants vocaux connaît depuis quelques années une énorme croissance, si bien que certaines études annonceraient que dans deux ans, une recherche internet sur deux se ferait par la parole. Reste à savoir quel genre de voix nous répondra…