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Amour 2.0 en temps de pandémie

On swipe à gauche, à droite comme on choisirait en ligne sa nouvelle paire de chaussures à la mode. Tout est à portée de main ; les objets à acheter, les personnes à rencontrer. Tout le monde le dit, Tinder, depuis 2013, a changé la donne dans le vaste monde des rencontres amoureuses. Mais, cette application n’est-elle pas plutôt la suite logique d’une société consommatrice et capitaliste, plutôt qu’un outil qui a fait glitcher la machine amoureuse ? Et comment on fait, aujourd’hui, sans bars, sans boîtes, sans fêtes, pour rencontrer en temps de pandémie ?  

Aimer l’autre pour s’aimer soi

Avec Tinder, on dit que l’amour se consume mais se consomme surtout. Une fraction de seconde. C’est tout ce qu’il faut pour décider inconsciemment si oui, ou non, cette personne là, sur cette application de rencontre, vaut la peine d’être swipée vers la droite. Tout en affichage et en superficialité, l’amour se cherche dans les applis de rencontre, alors qu’on peut penser que c’est surtout la validation de soi qui est en jeu. Dans une société où le paraître prime sur l’être, les coups d’un soir et les histoires sans lendemain semblent nous conforter dans l’idée que l’on existe grâce au désir des autres. Judith Portalier, dans son livre L’amour sous algorithme[1] l’explique à la perfection. 

«  L’attirance ne serait-elle rien d’autre que l’anticipation d’une validation ? […]. Je nous visualise tous, à swiper frénétiquement, dans une démarche prétendument consumériste ou clamant le désir d’une satisfaction purement et simplement sexuelle. En quête, en réalité, d’un regard qui valide. »

C’est également ce que clame Liv Stromquist dans sa dernière BD,  La Rose la plus rouge s’épanouit[2], lorsqu’elle cite les idées du philosophe Buyng-Chul Han. Il pense notamment « que le narcissisme extrême propre à notre ère du capitalisme tardif a profondément transformé nos sociétés[3] ». Et Liv Stromquist d’enchaîner sur l’idée que : 

«  […] la libido (l’énergie sexuelle) est avant tout investie dans NOTRE PROPRE subjectivité (genre prendre un selfie sexy plutôt qu’une photo sexy de quelqu’un d’autre) ». 

Sauf qu’aujourd’hui tout est chamboulé, les cartes sont rebattues. Tinder n’est pas la cause d’un amour qui se consomme, mais plutôt le prolongement de notre société capitaliste. On critique les applications de rencontres sans questionner cela. S’il y a bien une chose qui définit la société capitaliste dans laquelle on vit, c’est l’abondance. Il y a tellement de tout, en quantité astronomique, que ça en deviendrait presque risible. Il y a tellement de choix, pour tout, qu’on ne sait justement plus faire des choix. Les applis de rencontres deviennent l’écho de tout cela. Trouver l’amour dans une société qui va toujours plus vite, qui consomme toujours plus, semble être une quête paradoxale. On se dit qu’on trouvera toujours quelqu’un·e qui nous corresponde mieux, c’est une éternelle insatisfaction, où les « et si l’autre était mieux pour moi » rampent insidieusement au fond des relations. 

« On se comporte en de consommateurs rationnels, maximisant les bénéfices jusque dans nos relations humaines ».

Liv Stromquist.

Sauf qu’aujourd’hui la question n’est plus de trancher de manière manichéenne quant au statut des applis de rencontres, mais bien de se rendre compte qu’en 2020, elles sont essentielles.

Les applications de rencontres : seuls lieux de séduction qui restent ? 

Aujourd’hui, les règles ont changé. À l’heure où l’on doit être chez soi de 21h à 6h du matin, où les endroits habituels pour se rencontrer sont contrôlés, fermés, il est difficile, voire impossible de faire des rencontres. Les applications ne deviennent plus seulement l’endroit où l’on swippe à gauche à droite pour consommer, mais tout simplement un des seuls lieux de rencontres possibles. Entre distanciation sociale et couvre-feu, en 2020, il semble impossible de faire autrement. On s’éloigne de la vision marchande des sentiments qui se consomment pour entrer dans une nécessité de sortir de la solitude. Pour un soir, quelques mois ou bien plus, les relations se transforment à cause du contexte. Les applis de rencontres semblent devenir un lieu d’échanges et de communication plutôt qu’un simple outil de rencontres pour un soir. Le covid change notre rapport aux autres, que ce soit dans le monde réel ou virtuel, que ce soit dans notre sexualité ou nos conversations avec les autres. La vision consumériste s’effrite pour laisser place à la question de la solitude et ses remèdes. Comment draguer autrement que derrière nos écrans lorsque partout nous sommes derrière nos masques ? 


[1] DUPORTALIER Judith, L’amour sous algorithme, éd. Goutte d’Or, 2019, p.106

[2] STRÖMQUIST Liv, La Rose la plus rouge s’épanouit (trad. Kirsi Kinnunen), éd. le Signe Noir de Rackham, 2019[3] HAN Buyng-Chul, Le désir, l’enfer de l’identique, éd. Autrement 2012