(slow)dating et confinement

(slow)dating et confinement

Notre quotidien s’est brusquement arrêté, il y a plus d’un mois. J-combien, déjà ? On ne sait plus trop. Tout est flou. Le temps est étrangement étiré, malléable et incertain. Ce qui l’est beaucoup plus, c’est que notre vie a été mise sous cloche. Pas seulement nos allées et venues dans nos villes, nos sorties entre potes, nos trajets ou nos vacances : c’est aussi toute notre vie sentimentale qui s’en trouve au mieux, chamboulée, au pire, réduite à une peau de chagrin.

Il y a d’abord eu les questions et rapidement, les premières décisions : est-ce que l’on se confine ensemble, ou non ? Est-ce trop tôt pour tenter l’expérience, de peur d’accélérer les tensions ou de carrément provoquer une rupture ? Ou bien, on tente le coup et « advienne que pourra » ? C’est jouable. T’es sur que c’est raisonnable ? D’un côté, notre couple n’en ressortira que plus fort. Si on tient jusqu’au bout, hein, ahah. 

On imagine facilement ces conversations. Que cela fasse quelques semaines ou plusieurs mois que la vie à deux existe, l’incertitude sur le fait que l’on puisse sortir du confinement dans la même situation qu’en y rentrant est forte. D’autant que la durée n’a cessé d’augmenter, pour arriver à un hypothétique 11 mai qui brille au loin dans nos agenda tristement vides. Toutes ces questions, ces craintes qu’un quotidien cloisonné et claustrophobe réussisse à entamer notre couple tournent dans nos esprits. 

À l’inverse, ce confinement peut être vu comme une occasion de passer (encore) plus de temps à deux. Les emplois du temps se synchronisent forcément et puisque personne n’est maître de la situation, autant en tirer partie le plus possible. Discuter, se ressourcer, se retrouver, ménager des moments seuls, puis à deux – toutes ces petites choses qui sont parfois mises de côté. 

On peut aussi se retrouver seul pour ce confinement, mais être dans une relation. Selon l’Institut national d’études démographiques (Ined), 1,8 millions de personnes en France sont en couple mais ne vivent pas ensemble. Et ce qui était de l’ordre d’une relation longue distance se transpose à toutes : Skype, FaceTime, HouseParty rentrent en jeu, non plus pour séduire, apprendre à connaître ou jouer mais pour garder le contact avec l’autre. Un contact indispensable, même pour les couples les plus indépendants. Une présence rassurante, qui nous repose ou nous excite. Une présence étrangement plus régulière qu’avant, mais qui emplisse nos journées et nos soirées, en attendant le 11 mai. 

Mais tout ça, c’est quand on est déjà dans une relation. Que se passe t’il quand on est célibataire ? À l’annonce du confinement strict, toutes nos habitudes ont pris un tour de clé. Les dates, rendez-vous, plans, aventures, coups : à l’arrêt. Enfin, presque. 

C’est là que la technologie rentre en jeu. Encore plus qu’avant : les applications de rencontres, après avoir accusé le coup, ont adapté leurs services et enregistrent depuis des augmentations d’utilisation. Tinder a mis en libre accès jusqu’à la fin avril son option premium « Passeport », qui permet de voir des personnes ne vivant pas dans la même ville ou à l’étranger. happn, qui proposait initialement à ses utilisateurs de se croiser, à augmenté la zone de recherche de 250 m à 90 km. Once, autre application, a mis en place des live entre profils. Le tout pour garder des utilisateurs bien sûr, mais pour aussi multiplier les contacts. Créer du lien, même sur des applications de rencontres où les interactions ont la réputation d’être jetables, permet d’éloigner la solitude. Mais peut-on discuter de la même façon qu’avant ? 

« Cherche papier toilette et farine », « rendez-vous le 11 mai » : sur les applis comme ailleurs, les utilisateurs s’emparent du confinement. Blagues, méthodes d’approches ou d’évitement, les références à notre quotidien imprègnent aussi les profils et les discussions. Tout comme la crise en elle-même, grave, qui ramène à une réalité plus dure. Tinder remarque une augmentation du nombre de discussions dans les régions les zones touchées – des discussions qui durent même plus longtemps. « Nous remarquons également que de plus en plus de membres utilisent leurs bios pour partager leur inquiétude («comment ça va ?») et non plus seulement pour se présenter. » déclare l’application à la flamme. Des contacts que l’on chérissait parfois, que l’on négligeait souvent qui prennent une autre dimension : ils deviennent plus engageant, plus intense, presque plus « vrais ». Et surtout, plus régulier. Comme une sorte de lien qui fait office de promesse avant de se rencontrer pour de vrai. 

D’autres n’attendent pas et bravent les interdits : on coche la case « activité physique » ou « visite à un proche » sur les autorisations, et on se retrouve. Nouvelles rencontres ou retrouvailles, des bulles de l’ancien monde se forment dans les interstices de la crise sanitaire. 

Pour la plupart de la population – et donc des utilisateurs, le respect du confinement est présent. Que faire, pour avancer dans nos nouvelles relations, ces nouvelles discussions qui appellent à plus ? Un date virtuel. Une première rencontre via FaceTime, Messenger vidéo ou HouseParty. Selon une enquête d’happn, 54% des utilisateurs envisagent leur premier rendez-vous en ligne. Un chiffre qui ne cesse d’augmenter selon l’application, et qui interroge sur une éventuelle transformation des usages. 

Car ces applications proposent de faire des rencontres ; elles misent la multitude, la pluralité des contacts et des discussions pour être presque addictives. Bien sur, chaque personne a une utilisation différente et personnelle de ces outils – des échanges rapides et qui mènent directement à une rencontre dans un cas, ou sur un plus long terme, visant la découverte de l’autre avant de se retrouver face à face dans un second cas. Entre les deux, une infinité de possibilités, d’usages et façons d’être existent. 

Mais la foule des profils proposés reste la même : comment gérer cette abondance, dans un temps où les rencontres IRL sont interdites ? La conception même de ces outils peut-elle changer dans un quotidien où toute rencontre est interdite jusqu’à nouvel ordre ? Autrement dit, est-ce que l’on consommerait plus de relations, une fois libre de nos mouvements, comme avant le confinement ou pour « compenser » notre solitude affective, ou beaucoup moins ?

Cette nouvelle norme nous force à interroger l’après. Comment se passera le passage au face à face, au physique ? Après de longues semaines à porter un masque, à éviter tous rapprochements dans des files d’attentes ou des rayons de supermarchés, aura-t’on la même aisance, la même facilité à aller vers l’autre, porteur potentiel d’un mal invisible ? Des étapes qui se faisaient IRL – une première bise à la terrasse d’un café, à la sortie d’une station de métro, sur une place – se sont dématérialisées ; éprouverons-nous les mêmes choses qu’à travers nos écrans une fois face à la personne ? 

« Les outils numériques peuvent permettre de développer une forme de coprésence physique, d’entretenir le lien, même s’il manque toujours le toucher ou l’odorat. La qualité de l’interaction ne dépend pas réellement de ces outils, mais plutôt de la force du lien, de l’équilibre de la relation auparavant. » , déclare Laura Merla, professeure de sociologie à l’université de Louvain (Belgique), dans Libération

Un après en forme de saut dans un passé connu et rassurant, où rien n’est plus important qu’une présence physique.