Vendredi 2 octobre dernier, le président Emmanuel Macron a tenu un discours sur le thème de la lutte contre les séparatismes. Attendu depuis presque trois ans, le projet de loi a enfin été présenté alors qu’il devait l’être le 22 septembre dernier.
Officiellement, on lutte contre LES séparatismes. Cependant, en analysant son discours, on se rend vite compte qu’un seul séparatisme semble être en jeu : l’islamisme. Évidemment, il est nécessaire de lutter contre l’islamisme radical et le terrorisme, sauf que ce projet de loi est à double tranchant. Il semblerait qu’il soit surtout l’occasion de restreindre certaines libertés et de renforcer l’islamophobie française.
Qu’entend-on par « séparatismes » ?
Ces derniers temps, on entendait souvent parler d’un projet de loi qui viserait à limiter le communautarisme de certain·es. Didier Leschi explique ainsi à la journalise Laureline Dupont (L’Express), que le mot de « ‘ communautarisme’ est synonyme de dérive à partir de la pratique de l’islam ». Sauf que l’on se rend rapidement compte que différents types de sociabilités communautaires existent. Dans le dictionnaire, le « communautarisme » est : « la tendance à privilégier la place des communautés dans l’organisation sociale ». Le président utilise d’ailleurs ce terme avec violence et méconnaissance dans sa locution du 14 juin 2020. La référence au mouvement Black Lives Matter est implicite lorsqu’il parle des mouvements sociaux qui luttent contre le racisme :
“ Ce noble combat est dévoyé lorsqu’il se transforme en communautarisme, en réécriture haineuse ou fausse du passé.”
User de tels termes pour désigner un mouvement qui manifeste pour l’égalité, qui dénonce les mécanismes racistes de notre société et la construction d’une histoire occidentale raciste, montre bien l’incompréhension et les privilèges du locuteur. Ce n’est pas du communautarisme que de se rassembler pour lutter contre les injustices, le racisme, le sexisme mais une simple demande de justice sociale.
Le 2 octobre dernier c’est pourtant le terme de « séparatismes » qui est employé. M. Leschi explique que dans ce mot se niche des « dynamiques sociologiques où l’entre soi se double d’une volonté de mise à distance des autres ». Ainsi le mot est fort, presque sulfureux et sous-tend l’idée d’un danger et d’une exclusion organisée.
Les valeurs de la République : contrôle des libertés et exclusion musulmane ?
Il y a quelques jours, Darmanin précisait que cette loi changeait de nom pour devenir le « projet de loi renforçant la laïcité et les principes républicains ». L’historienne Valentine Zuber, spécialiste de l’histoire de la liberté religieuse en Europe occidentale et de la laïcité en France, souligne qu’aucune loi en France n’a jusqu’à présent emprunté le terme de « laïcité ». Pas même la loi de 1905 où il est question de la séparation de l’Église et de l’État. Ainsi, on est en droit de se poser des questions quant à la définition des valeurs républicaines. Si l’on suit les mots de Jean-Michel Banquer, par exemple, qu’est-ce qu’une tenue vestimentaire républicaine ? De plus, quand on sait que E. Macron veut rendre l’école obligatoire à l’âge de 3 ans, et que l’enseignement à la maison sera interdit à partir de la rentrée 2021 – sauf pour des raisons médicales – on est en droit de se poser des questions quant à sa motivation réelle. Nombreux sont les parents qui choisissent de faire l’école à la maison pour des raisons qui sont loin d’être religieuses. Bien évidemment, l’école est un lieu où la réflexion s’apprend et où la radicalisation peut être combattue. Mais cela doit se penser pour toutes les religions, et non seulement l’islam.
Ce contrôle, sous couvert de faire passer une loi pour encadrer une minorité, va restreindre une majorité. Que ce soit l’école obligatoire, qui semble difficilement réalisable à mettre en place, ou bien le contrôle des associations qui demandent « une subvention auprès de l’État ou d’une collectivité territoriale » qui va être renforcé, on se rend compte que l’État, sous couvert d’imposer des « valeurs républicaines » semble surtout chercher à contrôler les libertés. Par exemple, ces associations devront signer un « contrat de respect des valeurs de la République » représentant « une charte de la laïcité ». La laïcité est brandie à tout va sans pour autant qu’on ait une explication de ces fameuses valeurs à respecter. Pour les transports en commun néanmoins, E.Macron explique que la neutralité sera renforcée dans les services publiques. Cela sous-tend l’interdiction du port du voile pour une femme en contact avec du public.
Un projet de loi qui assoit la domination déjà établie
Pour Marlène Schiappa, qui insiste que « la France est une République laïque est indivisible, il n’a qu’une communauté en France », il est peut-être temps de lui rappeler à quel point les banlieues, ces endroits qui sont justement vus par le gouvernement comme les lieux à éduquer pour éviter la radicalisation, ont été abandonnées par la « République » ces dernières années. La crise du Covid met incontestablement cela en évidence. Il y a bien un problème de terrorisme islamiste et un rejet de la République et ses valeurs dans certains quartiers, mais il y a aussi une instrumentalisation de cette situation. Ce « réveil républicain » dont il parle semble se concentrer autour de valeurs définies par l’élite, pour protéger une élite blanche, aisée et dominante. L’exemple, en aout dernier, de l’Ordre des Médecins et des infirmiers qui « condamnent fermement la constitution d’annuaires de professionnels de santé communautés », en invoquant le fait que cette initiative irait à l’encontre des principes fondamentaux de leurs professions est intéressant. En effet, ces annuaires sont parfois essentiels pour les personnes racisées qui rencontrent stéréotypes et racisme dans leur prise en charge médicale, entraînant parfois de graves conséquences. Cette mise en garde, tout comme le nouveau projet de loi, sous couvert de lutter contre les séparatismes, est en réalité une présentation du musulman comme étant l’ennemi irréductible dont il faut contrôler toujours plus le culte, la présence et l’action sur notre sol républicain.