Mazarine Pingeot : le “mortel ennui” ou la risible incompréhension

S’il-vous-plaît, arrêtez de nous opprimer, de nous violer, de nous harceler, de nous tuer. Veuillez, s’il-vous-plaît, respecter les femmes, et plus largement toutes les minorités sexuelles et politiques. C’est mieux pour vous Madame Pingeot ? Vous préférez lorsque les féministes demandent gentiment, dans le calme avec un sourire aux lèvres ? 

Le fond reste le même, c’est la forme qui vous dérange – preuve de votre mortelle ignorance et de votre envie de rester tout en haut de la pyramide des privilégié·es. S’offusquer de la forme permet de ne pas réfléchir aux arguments. C’est plus simple d’écrire une tribune sur Le Monde pour prouver son existence plutôt que de prendre du recul pour réfléchir à sa pertinence. Le mouvement féministe d’aujourd’hui – qui est, rappelons-le, pour les retardataires – un simple mouvement qui tend à acquérir l’égalité femmes-hommes, ne vous convient pas. Pourtant, ce n’est pas la domination féminine, comme vous le laissez penser, qui se met en marche. C’est le vœu du respect de la moitié de l’humanité.

            Quand on met un accusé de viol au gouvernement, quelle réaction reste-il pour faire entendre nos voix, notre colère ? Quand on risque d’être la prochaine victime de féminicide lorsqu’on est une femme en couple hétérosexuel, quelle réaction reste-t-il pour faire comprendre notre dépit ? Quand on récompense aux Césars un violeur, alors que quelques mois plus tôt on imaginait que le #Metoo du cinéma était enfin arrivé grâce à Adèle Haenel, peut-on vraiment rester calme et docile ? L’énervement ne nuit pas à notre cause. Et vos remarques réchauffées à la sauce patriarcale on les connaît. Hystérie, colère, agressivité – tout ça on l’a déjà entendu. Nos mères avant nous, leurs mères avant elles. Cela ne nous touche plus mais alimente le brasier de notre ressentiment, le feu de notre effronterie, et continue de montrer que le chemin déblayé par nos mères, et grands-mères mérite encore un bon travail de défrichage. Nos combats ne sont pas là pour faire bouger les choses d’une manière apaisée, où vous ne vous sentez pas touchée. Ils sont là pour mettre mal à l’aise les dominant·es. Et votre tribune est la preuve que les choses sont en train de changer.

            Nos combats ne sont en aucun cas seulement moraux, mais entièrement politiques – depuis les années 1970 où « l’intime est politique », mais même bien avant. Que dîtes-vous aux féministes britanniques de la première vague qui déposaient des bombes dans les stades ; qui lacéraient des tableaux dans les musées et molestaient des parlementaires ? Leur rage et leur colère vous ennuient-elles, ou bien les remerciez-vous d’avoir combattu de la sorte pour que les françaises puissent suivre le mouvement et acquérir le droit de vote en 1944 ? Votre perception de l’excès réside dans votre non envie de remise en question. Gisèle Halimi s’éteint le même jour où paraît votre « mortel ennui ». C’est ironique tout de même de voir comment on targue toujours la jeunesse de n’être que « morale » et « haine » alors qu’une des plus grandes avocates pour la cause des femmes usaient des mêmes codes qui dérangent.

Où est votre tribune sur la violence de l’impunité ? Sur la violence de l’inaction ? Sur la violence de certains propos à l’égard des femmes ? Entre Alexandria Ocasio-Cortez qui se défend avec justesse contre un « fucking bitch » lancé à son égard par un membre du Congrès, et Dupond-Moretti qui se clame féministe mais précise que le mouvement est « dévoyé quand il est excessif », on n’a de doute quant au camp que vous avez choisi. Ce qui vous dérange, Madame Pingeot, ce ne sont pas les cris et les chants – pacifistes – des féministes dans la rue, ni même les collages qui scandent haut et fort les quatre vérités du patriarcat. Ce sont les inégalités qu’ils dénoncent, les oppressions qu’ils vous collent sous le nez, et l’obligation de les prendre en compte et de se remettre en question. Vous, vos ami·es, votre famille, et j’en passe. Avoir le nez en plein dedans, sans vouloir changer, voilà notre ennui mortel à nous, les féministes. Détruire « psychiquement et socialement » des cibles qui sont toutes « masculines, blanches et occidentales » n’est en aucun cas le but premier du féminisme, qui ne se résume aucunement à la haine des hommes. Car même dans la colère et le ressentiment, l’intelligence reste discernable et ces cibles ont toutes une raison de l’être. Not all men bien sûr, mais quand on est accusé de viol, quand on est ouvertement misogyne, les féministes ne laissent plus passer. La honte change de camp. Et non, complimenter n’est pas violer.  

Nos pulsions de haine à vos yeux sont en réalité des pulsions à ne plus se taire, ne plus se laisser faire. Votre indignation à vous n’est que le reflet de ce que vous énoncez : « la monnaie courante de tous les frustrés de la terre, des médiocres, de ceux qui veulent exister mais n’ont d’autres moyens que de vomir des insultes, de confondre les plans (…). » Car le féminisme que vous défendez est en réalité le patriarcat masqué, celui aux belles allures d’égalité mais à l’intériorité privilégiée.