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Gisèle Halimi : l’avocate “irrespectueuse” s’est éteinte

Gisèle Halimi, née Zeiza Gisèle Elise Taïeb le 27 juillet 1927 à Tunis dans une famille juive et populaire, est décédée au lendemain de ses 93 ans. Avocate, écrivaine, femme politique, sa vie n’est pas un long fleuve tranquille, mais plutôt un long combat pour diverses causes. Anticolonialiste et militante féministe, ce sont surtout ses victoires pour les droits des femmes qui l’auréolent. Retour sur ses victoires féministes et son investissement pour nos droits contemporains.

Insoumise dès l’enfance

Comment, et surtout pourquoi, devient-on féministe ? Pour Gisèle l’insoumise, cela semble commencer dès son plus jeune âge. Sa famille voit la naissance de leur fille comme une « malédiction », si bien qu’elle cache l’existence de l’enfant pendant plusieurs semaines. L’injustice découle simplement du fait qu’elle soit une fille, et ça Gisèle le comprend très tôt.

« Naître femme, pour ma génération, c’était faire partie de cette moitié de l’humanité, qui, jusqu’à sa mort, subirait toutes les discriminations. Pour la seule raison qu’on ne naissait femme que pour le devenir. » Gisèle Halimi, Le Temps des malentendus. 1992

À 12 ans elle fait une grève de la faim qui dure huit jours pour protester contre le fait qu’elle doit servir ses frères. Ses parents cèdent, et elle écrira dans son journal : « J’ai gagné mon premier morceau de liberté ». C’est le début de la révolte contre l’injustice, de l’insoumission au patriarcat. Vers ses 15 ans, elle refuse un mariage organisé par ses parents avec un riche marchand d’huile qui avait à peu près le même âge que son père. 

Quand on est une fille, on n’est pas indépendante économique, il faut (se) trouver un mari. Aller à l’école est réservé surtout aux garçons, mais Gisèle Halimi se bat pour aller au lycée. Elle passe le bac à 17 ans en ayant réussi à gagner une bourse plusieurs années de suite, ce qui l’exempte des frais à payer. C’est à ce moment qu’elle décide de lire, beaucoup, afin de s’ouvrir, seule, à un autre monde. Elle raconte notamment comment un dictionnaire d’anatomie, laissé par des vendeurs de porte-à-porte, l’a aidée à appréhender la sexualité.

Après le bac, direction Paris pour faire ses études de droit et prêter son serment d’avocate en 1948. Elle n’a que 21 ans, et c’est le début des procès à grand bruit. Retournée dans son pays natal, elle s’inscrit au barreau de Tunis en 1949 pour défendre des syndicalistes et des indépendants tunisiens. Retour à Paris ensuite, où elle s’y installe définitivement. 

 Le politique est intrinsèque au droit puisque, pour elle, la justice ne peut être – et ne doit être – coupée de la société. Pour reprendre le fameux slogan des féministes de la deuxième vague: « l’intime est politique ».

Pionnière du féminisme de la deuxième vague 

Ainsi, G.Halimi défend le corps des femmes mais surtout leurs droits. Contre l’oppression patriarcale, le droit à une éducation sexuelle, et surtout avoir le choix d’être mère, ou non. Voilà ce que défendait plus que tout cette avocate éloquente au discours incisif. 

Simone de Beauvoir est celle dont le nom résonne avec le plus de force lorsque l’on évoque la dépénalisation de l’avortement avec la loi Veil de 1975. Mais Gisèle Halimi y joue aussi un rôle non-négligeable, et ce dès 1972 avec le procès Bobigny. Très médiatisé, ce procès où elle défend une adolescente qui avait clandestinement avorté suite à un viol, marque les esprits. Un an plus tôt, elle avait signé le manifeste des 343 femmes qui déclarent avoir avorté. On y retrouve aussi Simone de Beauvoir, Violette Leduc ou encore Agnès Varda. Toutes sont dans l’illégalité aux yeux de la loi, et Gisèle Halimi est la seule avocate à signer. Battante, elle l’était pour elle mais surtout pour les autres femmes. Non seulement elle veut dépénaliser l’avortement, mais elle souhaite également instaurer un accès facilité à l’éducation sexuelle, la contraception et la défense gratuite des femmes poursuivies pour avortement. C’est à cette fin qu’elle crée l’organisation « Choisir la cause des femmes » en 1971, avec entre autres Simone de Beauvoir, Christiane Rocheford et Jacques Monod. De plus, le procès d’Aix de 1978 est également un de ceux qui ont fait grand bruit. Sa défense d’un couple de femmes violées par trois hommes, quatre ans avant la date du procès, criminalise le viol en 1980. Ce n’est plus un simple délit.

« Notre destin à toutes, ici, c’est la maternité. Un homme se définit, existe, se réalise, par son travail, par sa création, par l’insertion qu’il a dans le monde social. Une femme, elle, ne se définit que par l’homme qu’elle a épousé et les enfants qu’elle a eus. » Gisèle Hamili, extrait de sa plaidoirie de 1972 dans l’affaire Bobigny.

 Photo Michel Artault. Apis. Sygma. Getty Images

Ne nous résignons jamais, encore moins aujourd’hui.

Malheureusement ses mots sonnent encore d’actualité . Nombreux sont ses procès, et surtout ses victoires, qui ont fait bouger les lignes quant aux droits des femmes que nous connaissons aujourd’hui, mais il ne faut rien relâcher.  A  la question : « Comment êtes-vous devenue féministe ? », Gisèle Halimi y répond dans un court essai : Ne vous résignez jamais (2009). Ainsi, lorsque Dupond-Moretti lui rend hommage en disant que « son obsession était la justice pour tous. Et je devrais dire peut-être la justice pour toutes. » on se demande si cette obsession dont il parle n’était pas plutôt une nécessité. Nécessité de sortir de l’injustice due à son genre, nécessité de refuser ce destin tracé, nécessité encore actuelle de se battre pour les droits des femmes – et plus largement des minorités. S’il y a une chose que Gisèle Halimi doit nous léguer, c’est sa rage et sa force sauvage pour se battre contre le patriarcat.