A la recherche d’un Vogue dans l’air du temps

A la recherche d’un Vogue dans l’air du temps

Cette saison Maty Fall Diba est apparue sur les défilés de Maison Valentino, Victoria Beckham, Burberry et encore bien d’autres grands noms de la mode. Mais qui est-elle ? Maty Fall Diba est une une jeune  femme née au Sénégal qui est arrivée en Italie à l’âge de 10 ans. Elle est ce qu’on appelle une afro-italienne ou plutôt noire italienne, un concept que « Il Bel Paese » peine à concevoir et comprendre. Et pourtant, à seulement 19 ans,elle vient de secouer le monde de la mode italienne où les personnes racisées sont très souvent invisibilisées (ou si elles sont visibles, elles sont afro-américaines) en posant pour la couverture du numéro de février de Vogue Italia.

Sur la couverture Maty Fall Diba tient entre ses mains l’Italie, sa patrie, et est définie comme une beauté italienne, une première pour un pays qui refuse de regarder dans les yeux son passé colonial. Tout comme la France, l’Italie l’a bien enfoui, si ce n’est complètement effacé de sa mémoire. La Libye, la Somalie, l’Érythrée et l’Éthiopie font partie des terrains de conquête du royaume d’Italie au lendemain de son unification en 1861. Mussolini viendra ensuite consolider des plans d’empire colonial qui finiront par s’effondrer d’abord avec une défaite écrasante face à l’Ethiopie et ensuite par un choix de mauvais allié (l’Allemagne) lors de la Seconde Guerre Mondiale. Donc parler de l’Empire colonial italien, c’est sortir d’outre-tombe un passé peu glorieux et mettre en évidence un échec cuisant face à la France et l’Angleterre. Et l’Histoire, rappelons-le, est toujours là pour mettre en avant la grandeur d’une nation. Un tel choix venant de Vogue Italia, une institution nationale et mondiale,  est un geste fort non seulement pour la mode italienne mais surtout pour cette jeune génération noire à qui l’on ne reconnaît pas son  » italianité ». Chaque jour, on lui martèle dans les stades, dans la rue et dans l’administration qu’elle est un corps étranger, qu’elle ne fait pas partie de l’Histoire du pays. Et si vous nous le saviez pas, contrairement à la France, naître sur le territoire italien de parents immigrés ne permet pas l’obtention de la nationalité. 

« On préfère mettre en couverture une femme noire venant d’ailleurs car cela ne soulève pas de discussion. »

Si cette couverture de Vogue Italia est la première en son genre pour le pays, en France, elle devrait faire réfléchir lorsqu’on voit les femmes représentant Vogue Paris, une institution elle aussi, qui célèbre la Parisienne depuis 100 ans (en avril 2020, la publication aura officiellement un siècle) : françaises ou pas, elles sont souvent blanches. Elles s’appellent Vanessa Paradis, Lou Doillon, Virginie Effira, Cindy Crawford, Edie Campbell ou Kate Moss. Et lorsqu’elles sont noires elles s’appellent Rihanna ou Liya Kebede. Deux femmes noires, certes, mais pas françaises car faire ce choix, c’est ouvrir une boîte de Pandore et s’aventurer vers un choix politique, parce qu’être noir en France c’est toujours politique. On préfère mettre en couverture une femme noire venant d’ailleurs car cela ne soulève pas de discussion. Ou lorsque c’est le cas, on s’indigne des injustices subies par les afro-américains sans jamais faire le parallèle avec celles que connaissent les Français afro-descendants. Vogue Paris, étendard de la mode française, n’est certainement pas un magazine d’actualités, mais il devrait refléter la société de son temps.
Or, depuis X années, on ne retrouve dans ses pages que des clichés de la femme française, pardon parisienne, fantasmée à l’étranger. Vous savez celle que les anglo-saxons nous envie, à tel point que certaines comme Caroline de Maigret ou Jeanne Damas capitalisent sur le concept à coups de livres, collaborations et marques de vêtements à l’image de cette femme blanche bourgeoise faussement simple qui a tous les secrets pour être parfaite sans effort.

 » Il  [est] épuisant de voir que la presse mode française, notamment Vogue Paris, ne se pose pas de question de représentativité et diversité quand le reste du monde et même Paris s’enflamment sur le sujet. »

Je m’appelle Emmanuelle Maréchal, et comme mes nom et prénom ne l’indiquent pas, je suis une femme noire française très fière de mes racines camerounaises, vendéennes et bordelaises (pour ceux qui s’attendaient à ce que je dise Guadeloupe ou Martinique après avoir découvert mon nom et ma couleur de peau, désolé, non je ne rentre pas dans le cadre de ce que la France pense/veut d’une personne noire française avec des origines africaines). Si je vous parle aujourd’hui de cette couverture de Vogue Italia, c’est parce que l’Italie j’y ai vécu, et pas en mode étudiante Erasmus ne restant qu’entre Français. J’ai passé cinq ans à baigner dans la culture italienne, à voir ses bons et mauvais côtés et surtout à découvrir qu’hors de la France, les gens perçoivent ma couleur de peau différemment. Après un passage de presque deux ans en Allemagne aujourd’hui, je vis à Londres, ma ville d’adoption depuis bientôt cinq ans, et je suis ce qu’on appelle une sub-editor. Mon travail consiste à vérifier que les textes traduits de l’anglais au français soient écrits correctement, et le langage de la mode étant en constante évolution, lire des magazines fait partie de mon quotidien. Alors oui, c’est loin d’être un calvaire que de lire sur un sujet qui me passionne, mais il n’en est pas moins épuisant de voir que la presse mode française, notamment Vogue Paris, ne se pose pas de question de représentativité et diversité quand le reste du monde et même Paris s’enflamment sur le sujet. Je dirai même que c’est honteux étant donné les principes sur lesquels sont bâtis la République Française: la liberté, l’égalité, la fraternité et cette fameuse Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen au fondement de la Constitution française. Alors oui, encore une fois, Vogue Paris n’est pas un magazine d’actualités, mais il devrait faire écho à son temps. La France dans laquelle j’ai grandi n’est pas que blanche, elle est constituée d’immigrés, de leurs enfants et de descendants d’esclaves, et il est trop tard pour jouer la carte de l’invisibilité. Il ne s’agit pas de faire des couvertures et articles larmoyants sur la réussite de racisés issus de banlieues, mais d’ouvrir les yeux et de voir que la femme française (et pas juste parisienne) a des traits africains, maghrébins et asiatiques. Quant à son histoire, elle est multiple tout comme ses rituels de beauté et son style car elle a la chance, le privilège et la richesse d’avoir un héritage culturel puissant.

On passe notre temps à pointer du doigt l’Italie pour son racisme dans le milieu du football, mais bizarrement cette couverture de Vogue Italia ne réveille pas les consciences dans l’esprit des professionnels de la mode en France. Ça n’est pas qu’aux maisons de mode d’employer plus de mannequins ou travailleurs racisés, c’est aussi le devoir des médias pour mieux représenter la société dans laquelle nous vivons. Je n’achèterai un Vogue Paris que le jour où ses équipes se soucieront de sortir de leur microcosme bourgeois blanc.

Emmanuelle Maréchal est fashion sub-editor à Londres et fondatrice du compte Instagram culturel @TheLBDstories qui traite de la diaspora africaine en Europe.