Les croyances et pratiques mystiques et religieuses irriguent le continent africain. C’est ce que nous montre avec frisson et poésie l’exposition qui se tient actuellement à l’Institut des Cultures d’Islam, dans le 18e arrondissement de Paris.
Seize artistes photographes et vidéastes s’emparent des mythes et superstitions. Sorcellerie au Maroc, vaudou au Togo, transe au Congo : les artistes nous dévoilent les différentes manifestations de la mystique, à travers un regard à la fois artistique et documentaire.
Sorcellerie, vaudou et transe : diversité des croyances et pratiques ésotériques et religieuses
Sorcellerie et voyance sont des pratiques fortement ancrées dans les cultures locales au Maroc. En témoignent la place Rhaba Kadima à Marrakech ou le marché de Derb Sultan à Casablanca, réputés être des lieux d’approvisionnement pour les sorcières et guérisseurs. Pour rendre compte de ces pratiques occultes, Btihal Remil a décidé d’inventorier non pas des incantations mais des recettes magiques marocaines, censées pouvoir exaucer n’importe lequel des souhaits, comme celui de charmer un être. Les différents ingrédients (herbes, racines, poudres et autres os), qui composent ces recettes, sont dans l’œuvre de l’artiste disposés avec minutie et épuration les uns à côté des autres sur un fond blanc, rappelant tantôt une toile vierge, tantôt un plan de travail. Ce soin donné à l’agencement des ingrédients permet de les classer et de les valoriser tout en même temps. Si anodins en apparence, ces éléments une fois mélangés sont capables de si grandes prouesses si on y croit. Ce qui est certain, c’est que l’artiste a revisité de manière innovante la notion de « photographie documentaire ».
Autres pays, autres pratiques. Au Togo par exemple, les rites vaudous se perpétuent. Et c’est ce que nous fait découvrir Nicola Lo Calzo avec son installation in situ, qui nous plonge dans une atmosphère pesante, où sont invoqués les esprits des esclaves dans un but mémoriel. Le gravier au sol, la musique en fond, les objets rituels et les photographies cérémonielles éveillent chacun de nos sens et nous interrogent sur l’histoire des pratiques actuelles et passées. Ce travail d’introspection et d’invocation des esprits anciens s’oppose au travail du vidéaste Léonard Pongo, exposé dans une salle voisine. Sa vidéo intitulée The Necessary Evil porte sur les transes et les « Églises de réveil » au Congo. Églises dont la mission est de délivrer les êtres envoûtés et possédés par le Mal. Alternant cris, danses, rites, sermons, vidéos et photos, dans un rythme saccadé, infernal, Pongo nous dévoile ce que le monde raisonné refuse.
Bruno Hadjih travaille également sur la question des transes à travers notamment les soufis d’Algérie. Mais là, nul esprit ténébreux à extraire, il s’agit de se rapprocher de Dieu, à travers chants, danses et prières. Le flou photographique magnifiquement exécuté provoque un effet de mouvement. Il anime les scènes, en plus de leur conférer une ambiance ésotérique. L’espace et le temps deviennent insaisissables, pareil à un rêve. Le soufisme fait l’objet de nombreuses critiques, ses pratiques étant considérées comme déviantes, inquiétantes, mystérieuses par certaines autorités religieuses. L’artiste Seumboy s’inscrit dans cette veine originale et décalée. Son œuvre vidéo Prières au wifi s’empare des thèmes numériques et détourne les rites classiques, faisant d’Internet une nouvelle divinité, omnisciente, omnipotente, omniprésente.
Jumeaux, femmes et animaux : incarnations troublant l’esprit commun
Cette question des croyances et des pratiques rejoint intimement celle des individus et des êtres. Bénédicte Kurzen et Sanne de Wilde ont travaillé sur la question de la gémellité au sud du Nigeria. Là-bas, jumeaux et jumelles sont des envoyé.e.s de Dieu, des cadeaux du ciel, faisant le lien entre monde humain et monde spirituel. Le duo d’artistes a insufflé à leurs clichés un caractère animiste, mystique et moderne. Jeux de miroir, poses alambiquées, paysages extraordinaires, tout y est pour associer ces êtres doubles à des esprits de la nature, innocents et curieux. La nature justement, dans leurs photographies, se déploie dans sa beauté, son immensité, sa diversité, comme l’attestent les épais nuages, les lumières vibrantes, les terres florissantes, minérales et végétales.
Cette nature sauvage, mi-création, mi-expression du divin, à l’allure si romantique à la Friedrich, se retrouve dans l’œuvre de Maimouna Guerresi. Son immense polyptyque figure une nature à deux faces, plate et vide de toute vie. Une femme voilée portant un bâton de pèlerin se détache à la gauche, flottant dans les airs. Une émanation d’Eve, de Pandore, de première femme. Placée sur une tribune de sermon, elle se trouve en lieu et place d’un imam. L’artiste remet en cause les conventions et questionne le statut religieux, la place sociale, le rôle attribué aux femmes dans l’Islam. Rahima Gambo travaille également sur cette question. Dans son projet intitulé Tatsuniya (« fable »), elle rend hommage aux jeunes nigérianes, attaquées par Boko Haram en 2013, à leur école, lieu d’émancipation par l’apprentissage. En les portraiturant en train de jouer ou de prier, l’artiste montre que la vie est faite de hauts et de bas, de projections et de souvenirs. Le courage de ces jeunes femmes est beau et grand. Finalement, ce sont peut-être elles qu’il faut admirer. Elles, en qui croire.
Questionner les pratiques religieuses, Nabil Boutros le fait aussi, sous un autre angle. Les sacrifices rituels d’animaux font souvent l’objet de vifs débats. En faisant le portrait de ruminants (béliers, agneaux, moutons), l’artiste nous révèle la personnalité de ces animaux si symboliques – le bélier ayant servi dans les religions monothéistes à sauver le fils d’Abraham/Ibrahim. Alors que certains font les beaux et les fiers, d’autres font les clowns. Tandis que le petit agneau blanc au centre se tourne de trois-quarts pour se mettre en valeur, son voisin le mouton nous regarde de profil d’un air bourgeois. Une fois l’individualité et la sensibilité des animaux décelées, un nouveau rapport s’établit entre l’humain et l’animal, ébranlant d’un coup toutes nos croyances, nos pratiques – ésotériques, religieuses et mystiques. Une exposition à voir jusqu’au 02 août prochain !
Pour plus d’informations sur l’exposition : https://www.institut-cultures-islam.org/croyances-faire-et-defaire-linvisible/