Artiste de rue qui fait rimer fantaisie et éphémère dans la revalorisation des déchets, Lor-K nous livre sa perception de l’univers du street-art. Si ce dernier se veut libre et évolutif, il devient ces dernières années une proie facile pour le marché de l’art. Entretien.
Lorsque vous arpentez les rues, comment vous vient l’inspiration ?
Avec l’observation, une redondance de constats fait naître les projets. La période où je voyais des matelas abandonnés partout a donné le projet « Eat-me ». Je fonctionne aussi par séries, comme le projet « Objeticide » qui consiste à faire saigner nos encombrants. Quand j’ai compris comment faire, j’ai eu envie de m’attaquer à pleins de meubles différents. Ces deux projets sont d’ailleurs les plus significatifs de ma démarche.
Pourquoi ne pas centraliser toutes vos créations et les exposer dans une galerie ?
Les sculptures sont abandonnés à l’endroit même où sont trouvés les déchets qui ont permis leur construction. Je ne possède donc aucune de ses sculptures. L’abandon efface la notion de propriété. Elle n’appartient pas à une institution, ni à personne. Tout le monde peut l’interpréter, la transformer, se l’approprier. Conserver le récit de ces expériences sauvages m’importe plus que de posséder les sculptures. Quand je les abandonne dehors, je suis excitée par leur mystérieux devenir. La sculpture peut-être récupérée, mais une fois déplacée du paysage, de son contexte, il manquera inévitablement une partie de l’image.
Je n’oppose pas l’intervention extérieure à l’exposition. Dès le départ, j’ai commencé à documenter mes actions. Les outils numériques permettent l’archivage qui constituent les oeuvres. Photographies, vidéos et récits sont pour moi les oeuvres les plus pertinentes à exposer d’un projet urbain. Après tout, si Mozart n’avait pas écrit ses partitions, on n’aurait pas pu les rejouer !
Quelles tendances observez-vous dans le street-art ces dernières années ?
Je reste convaincue que l’art de rue doit être détaché de la commande et de l’autorisation pour éviter la censure. Aujourd’hui, le street-art est essentiellement cloisonné dans la peinture. Il est devenu définition d’un style, d’une esthétique. Il y a peu de références et réflexions sur la vie citadine, les problématiques urbaines ou sur les rencontres sociales qu’offre l’art de rue. Même s’il y a de plus en plus de chercheurs qui écrivent dessus, en réalité, le sujet peine à s’imposer dans le milieu académique. En cinq ans d’études supérieures, je n’ai pas eu un cours sur l’art de rue… alors que c’est le courant artistique le plus contemporain !
Comment ce cloisonnement se perçoit-il dans la vie quotidienne des street-artists ?
On n’avance pas sur la liberté d’expression des artistes et leur crédibilité. On les accepte derrière des barrières, quand il faut dépenser un budget culturel et redorer la façade d’un immeuble, alors qu’ils finissent au poste en vandales quand ils développent leur pratique hors d’événements organisés. Le marché de l’art enferme les artistes dans une logique de rendu matériel. On a détaché le sens de l’esthétique pour adoucir les messages. Galeries, institutions et grandes marques utilisent le street-art comme outil de stratégie marketing et sociale, en oubliant volontairement la portée culturelle et populaire de ce mouvement qui les surpasse. Si je déplaçais mes sculptures en intérieur, je parlerais de la société de consommation, mais pas de la rue et de tout ce qui me pousse à créer.
Vous ne signez pas vos œuvres… Pourquoi ?
J’ai mis du temps à me défaire de cette volonté d’identification dans la rue. Mais je me suis rendu compte que la signature pouvait devenir une source d’enfermement. Ajouter mon logo sur des objets déjà estampillés apporte rarement du sens aux projets… créditer une création pour des questions de visibilité ne m’intéresse pas plus que ça ! Je trouve la signature pertinente lorsqu’elle est au cœur des recherches, du propos, comme pour le tag où la répétition et l’omniprésence sur le territoire matérialisent la démarche. Finalement, dans tous les cas, à force de créer, une écriture se dessine, je préfère m’attacher à la reconnaissance de mon style, de mon esthétique : réussir à exister visuellement dans cette espaces saturés d’informations. La rue n’est pas une toile vierge, ou un musée à ciel ouvert. Loin d’être immaculé, c’est un espace de liberté plein de vie et un terrain d’expériences universelles.