Statues royales du Dahomey au musée du Quai Branly à Paris. © REUTERS/Philippe Wojazer

Restitution des œuvres d’art à l’Afrique

Vendredi 12 juin 2020, des militants anti-colonialistes ont arraché un poteau funéraire au Musée du Quai Branly afin de dénoncer la « dépossession de l’Afrique ». Cet événement ranime l’épineux débat sur la restitution des œuvres d’art africaines à l’Afrique.

Des œuvres mal-acquises à restituer

 Parler de « dépossession » n’est pas une exagération mais bien une réalité. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. 70.000 œuvres africaines sont présentes dans les collections du Musée du Quai-Branly, dédié aux civilisations non-occidentales. 90% du patrimoine africain se situe hors du continent dans de grands musées occidentaux. Bien que l’acte de ces militants soit répréhensible, le constat est avéré.

Dès novembre 2017 à Ouagadougou (Burkina Faso), le Président de la République avait fixé un objectif clair et ambitieux : « Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique. » Tonnerre d’applaudissements de la part de l’auditoire.

La France reconnaissait ainsi la « légitimité des demandes des pays africains de recouvrer une part significative de leur patrimoine et de leur mémoire ».  C’est ce que souligne le rapport Sarr-Savoy, remis au Président en novembre 2018, consacré à la restitution du patrimoine culturel africain.

« Parler de restitutions en 2018, c’est donc rouvrir à la fois le ventre de la machine coloniale et le dossier de la mémoire doublement effacée des Européens et des Africains d’aujourd’hui, les uns ignorant pour la plupart comment se sont constitués leurs prestigieux musées, les autres peinant à retrouver le fil d’une mémoire interrompue. » Voilà le cœur des enjeux derrière ces restitutions.

 Faut-il rappeler, en effet, qu’une part non négligeable de ce patrimoine a été spoliée au temps de la colonisation par des militaires, administrateurs coloniaux et chercheurs. Des butins de guerre, des objets ethnographiques, teintés d’exotisme ou de spiritualisme selon les parties. Aujourd’hui encore, le trafic illicite de ces œuvres arrachées à l’Afrique continue, à l’abri des regards ou directement sur internet.

Pour des accords bilatéraux entre la France et l’Afrique

Pour réparer ces injustices historiques, permettre à l’Afrique de renouer avec son passé, de se projeter dans le futur, de se développer économiquement, le rapport très fourni Sarr-Savoy a proposé une modification du code du patrimoine. Nécessaire puisque le droit précise que les collections publiques sont inaliénables, insaisissables et imprescriptibles. La mesure envisagée consiste en l’introduction d’un article dérogatoire permettant une restitution du patrimoine sur le base d’un « accord bilatéral de coopération culturelle avec des pays anciennement colonies, protectorats ou gérés sur mandat français ».

Passer par la loi est indispensable. Cela a été le cas pour la restitution de restes humains comme la dépouille mortelle de Saartjie Baartman en 2002 à l’Afrique du Sud ou les têtes maories en 2012 à la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui, l’Algérie demande à la France les crânes de résistants rassemblés en 1849. En 2010, des prêts renouvelables tous les cinq ans avaient été mis en place pour permettre à des manuscrits coréens de retourner dans leur pays. Cela avait été un moyen de contourner la loi.

Ce qui est certain, c’est que « La temporalité de la restitution est une temporalité longue. » a jugé Felwine Sarr, économiste et co-auteur du fameux rapport, dans un entretien donné au journal Jeune Afrique en novembre 2019. La formulation des demandes, la composition de commissions spéciales dans les différents pays, l’élaboration des inventaires ou encore le développement de structures adéquates pour la conservation des œuvres sont autant de données à prendre en compte.

Le ministre de la Culture, Franck Riester, avait rappelé dans le JDD du 02 décembre 2018 la politique de la France en la matière : la restitution d’un côté (transfert de propriété), la circulation de l’autre (prêts, expositions, etc.). Les restitutions concernant les œuvres pillées dans des contextes militaires ou scientifiques à l’époque coloniale ; la circulation concernant davantage les œuvres n’ayant pas été réclamées mais ayant un lien incontestable avec l’histoire des pays.

« Notre objectif est très clair : les jeunes Africains doivent avoir accès à leur patrimoine, mais aussi à celui de l’humanité. Cela passe par des restitutions, mais aussi par des prêts, des dépôts à long terme, des expositions, des échanges d’ingénierie muséale ». avait précisé Franck Riester.

Des actes encore timides

Mais qu’en est-il en juin 2020, deux ans et demi après la publication du rapport ? En novembre dernier, le Premier ministre français a remis au Président sénégalais le sabre d’Omar Saïdou Tall, une « première étape » avant la rédaction d’une loi modifiant le code du patrimoine.

Outre ce trésor inestimable, la France a proposé au Bénin de lui rendre les 26 trésors royaux pillés en 1892. Si la décision a été favorablement accueillie, le Bénin a souhaité que ces joyaux restent encore dans les collections françaises, le temps de disposer d’infrastructures pouvant les accueillir et les exposer.

La question de la conservation est un enjeu de taille. « Les conditions des musées en Afrique sont absolument terribles, et le Congo par exemple n’a pas encore de musée national. » s’est ainsi exprimé Guido Gryseels, directeur de l’Africa Museum à Bruxelles. Ces propos ont été nuancés par Felwine Sarr, qui a cartographié dans son rapport les institutions muséales en Afrique subsaharienne, susceptibles d’accueillir les œuvres.

 Si la puissance publique joue un rôle majeur dans le sujet des restitutions (le nouveau président du Quai Branly par exemple a fait de la circulation des œuvres une priorité), les collections privées aussi. C’est ainsi que le collectif des antiquaires de Saint-Germain-des-Prés a remis 28 sceptres royaux du Dahomey au Bénin, il y a quelques mois. Ces objets d’art étaient issus de collections privées (d’anciens missionnaires et administrateurs coloniaux). La joie des populations locales s’est faite entendre. Celles-ci ont pu renouer physiquement, visuellement, mais partiellement avec leur mémoire, leur histoire.

La restitution du patrimoine aux pays africains occupe véritablement une place particulière dans le débat, du fait d’une quasi-absence d’œuvres et d’objets d’art dans les pays en question. Mais le phénomène est bien mondial. La Chine réclame ses trésors volés au Palais d’Été par les armées françaises et anglaises en 1860. La Grèce exige qu’on lui rende les marbres du Parthénon dérobés par un diplomate anglais au début du XIXe siècle. La liste du patrimoine mal-acquis est longue. Si ces biens ont pu être protégés de possibles destructions au cours des siècles par des conservateurs éclairés, et admirés par des visiteurs amoureux, le temps est venu de les rendre aux propriétaires légitimes qui le demandent.

Pour consulter le rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain (novembre 2018) : https://www.vie-publique.fr/rapport/38563-la-restitution-du-patrimoine-culturel-africain