Fin juillet 2020, l’ex-adjoint à la Culture de la Marie de Paris, Christophe Girard, démissionne suite à la manifestation lancée par des élu·es écolos et féministes. On lui reproche ses liens avec l’écrivain Gabriel Matzneff, visé par une enquête pour viols sur mineurs. Christophe Girard décide donc de partir :
« J’ai fait le choix que ce serait très compliqué et invivable, étant un bon connaisseur des États-Unis et de mouvement que l’on appelle Cancel Culture […] la mise au pilori, la lapidation des personnes publiques et du monde de la culture. »
La Cancel Culture, on en entend de plus en plus parler, et à toutes les sauces. Mais qu’est-ce donc vraiment ? Censure à tout va ou bien tolérance zéro de la part des mouvements de lutte pour la justice sociale ?
La Cancel Culture : aux origines
La Cancel Culture, signifiant littéralement « la culture de l’annulation » nous vient des États-Unis, et plus largement des pays anglo-saxons. Concept assez compliqué à définir précisément, il englobe toutes les actions qui visent à dénoncer publiquement une personne qui aurait tenu des propos, ou eu des actes, jugés comme problématiques. Généralement cela se fait sur les réseaux sociaux. On ressort de vieux tweets, de vieux posts Facebook, et c’est là que « l’annulation » de la personne commence. Ses petits surnoms ; culture du boycott, culture de l’interpellation ou encore culture de la dénonciation ; traduisent bien l’idée générale de ce qu’est ce phénomène. Au contraire de ce que l’on pourrait penser, ce sont en général les luttes sociales ; féministes, anti-racistes, pour les droits LGBTQI+ …, qui usent de ce stratagème pour dénoncer les comportements qu’elles jugent problématiques. Cela peut concerner les dominant·es tout comme les militant·es de leur propre sphère. Et c’est là que la Cancel Culture blesse.
À cause de ce phénomène, ses excuses, ses dires et sa remise en question ne seront jamais pris en compte. Considérée comme du cyber-harcèlement, sans possibilité de s’expliquer ou de dire que l’on n’était pas assez déconstruit·e pour parler d’un sujet, une fois qu’on est « annulé·e » difficile d’en sortir. Dans ce cas de figure, on peut comprendre en quoi la Cancel Culture peut être dangereuse, sans débat possible et sans bienveillance en vue. La demi-mesure n’est pas de mise dans un monde manichéen. Il y a les bon·nes militant·es et les mauvais·es.
Pourtant, lorsque l’on fait quelques petites recherches sur la définition du phénomène, on tombe rapidement sur ces paroles, et des idées qui vont dans le même sens :
« La manifestation numérique de la culture ‘call-out’ est représentée par des mouvements comme ‘#MeToo’ qui permet aux femmes de partager et dénoncer leurs histoires d’abus et de harcèlement. Ce qui donne parfois lieu à l’humiliation publique de certains hommes. »
La Cancel Culture : débat impossible ou élévation des voix minoritaires ?
Pour illustrer la Cancel Culture, on prend en exemple des phénomènes sociaux, des luttes pour la justice où les voix minoritaires ont pris la parole sur les réseaux sociaux. #MeToo, #BalanceTonPorc, #BlackLivesMatters ; tous ces hashtags ont fait bouger les luttes sociales. Les hommes qui ont agressé des femmes sont mis en lumière, des statues de politiciens ouvertement racistes se retrouvent dans des fleuves.
Ainsi, l’humiliation publique dont parle la citation ci-dessus fait tiquer. Ces femmes qui témoignent et osent prendre la parole, n’ont-elles pas aussi subi de l’humiliation par ces hommes ? La Cancel Culture, à l’image de Christophe Girard, ou encore de Darmanin, n’est pas une culture de l’annulation de la personne, mais une demande aux institutions de prendre leurs responsabilités. C’est une demande à arrêter d’honorer les accusés de viols, les misogynes et les racistes. Une demande pour arriver à un « monde d’après » où les paroles racistes, homophobes, sexistes n’ont plus leur place. Ce n’est pas une humiliation sur la place publique, une « chasse à l’homme » où la présomption d’innocence a disparu mais bien une simple demande de répondre de ses actes.
Est-ce vraiment de la censure et une mise au pilori d’user des réseaux sociaux pour faire bouger un monde où la justice condamne très peu les violeurs ? Est-ce vraiment une impossibilité de débattre lorsque les luttes sociales ne tolèrent plus les comportements sexistes, homophobes, racistes et LGBTQphobes ? Il ne s’agit plus d’annihiler les débats pour qu’une seule voix subsiste. Il s’agit de donner la voix à des personnes minoritaires, à des personnes qui ne font pas partie de la domination – blanche, masculine, riche et avec un certain pouvoir (monétaire, ou politique). Parler d’une « tyrannie de la minorité » et d’une impossibilité à débattre permet de ne pas se remettre en question, de ne pas se demander en quoi nos paroles peuvent être problématiques, oppressives. Ne s’agit-il pas plutôt d’un rééquilibrage, comme le dit Iris Brey, universitaire féministe spécialiste du cinéma et des séries ?
Ce n’est pas la délation d’une seule personne qui est en jeu mais bien la mise en lumière d’une société patriarcale et raciste, qui continue à soutenir, et encenser (coucou Polanski) des comportements problématiques. La Cancel Culture se retourne contre la sphère dominante plutôt que dans la mise au pilori d’un individu. Elle s’incarne dans la voix des minorités, excédées par les injustices et l’impunité du pouvoir. Et dire qu’elle va trop loin, sans chercher à comprendre ses enjeux, vous met dans la même catégorie des « on-ne-peut-plus-rien-dire ».