Ces dernières années, le débat pour ou contre l’écriture inclusive ne cesse d’être alimenté. On a bel et bien l’impression que c’est une discussion sans fin, où les opposant·es considèrent celles et ceux qui en usent comme étant des « propagandeur·euses ». La tribune signée par 32 linguistes publiée sur Marianne le 18 septembre dernier pour dénoncer l’écriture inclusive montre bien que les litiges sur la question semblent interminables. Pourtant, cette tribune est le reflet que les discussions autour de la question sont une perte de temps.
Réel problème de lisibilité et d’apprentissage ou bien enjeux idéologiques ?
Le premier argument qui ressort, c’est son esthétique et sa difficulté de lecture. C’est bien gentil de la part des opposant·es de penser, pour une fois, aux personnes en difficulté, mais comme l’expliquent Lucie Bellan et Thomas Messias dans un article qui démantèle « les huit idées reçues ou crétineries sur l’écriture inclusive[1] », l’écriture en général est discriminante pour les personnes dyslexiques. Tout est mis en œuvre pour leur faciliter la lecture et l’apprentissage, que ce soit de l’écriture inclusive ou non, avec l’utilisation de couleurs ou bien de mises en gras de certaines parties du mot. Aux yeux des signataires de la tribune de Marianne, l’écriture inclusive est vue comme « problématique » et pose surtout problème à « tous les francophones soudain privés de règles et livrés à un arbitraire moral ». Que de méconnaissance et d’ignorance. Nombreux sont les ouvrages qui expliquent les règles de l’écriture inclusive, allant du point médian à l’accord de proximité. Rien n’est arbitraire justement, et de nombreux ouvrages scientifiques se penchent sur la question du sexisme dans la langue, n’en déplaise aux signataires de la tribune de Marianne. Juste pour l‘exemple on peut citer l’ouvrage de la linguiste Éliane Viennot, « Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française » (2014).
Refuser avec autant d’hostilité ces transformations linguistiques, c’est la preuve d’un certain conservatisme et d’une envie que les choses restent telles qu’elles sont. C’est se débattre contre une société qui avance sur ces questions d’égalité femmes-hommes. L’opposition semble virulente, presque au point d’en devenir risible, pour qui ne perd aucun droit avec la mise en œuvre de l’écriture inclusive. Comme le disent Laélia Véron et Maria Candéa sur la quatrième de couverture de leur nouvel ouvrage « Le français est à nous ! » :
« De fait, défendre la langue est devenu un prétexte facilement recevable pour tempêter contre la société contemporaine (forcément décadente) ».
Une démasculinisation de la langue plutôt qu’une féminisation à tout va
Le deuxième argument qui revient en force chez les opposant·es, c’est que l’écriture inclusive est le vœu d’une « milice féministe » qui imposerait la féminisation de la langue française. C’est faux. L’enjeu est de rendre visible une partie de la population qui doit s’identifier lorsque l’on parle de « Droits de l’Homme ».. Bizarrement, au vu du nombre de féminicides, du contrôle des vêtements des femmes, ou de l’inégalité salariale, pour ne citer que ça, on est en droit de douter quand on nous dit que cette formulation est bénigne et non performative. Les mots ont une importance dans notre rapport aux autres.
Que les signataires de Marianne se renseignent quand ils ironisent sur le fait que notre « langue aurait été ‘masculinisée’ ». C’est historiquement, et objectivement un fait. Il ne s’agit en aucun cas de parler de « langue originelle ‘pure’ que la gent masculine aurait pervertie » mais bien d’une évolution de la langue qui aurait eu lieu dès le XVIIe siècle. Pour éviter que les femmes fassent de la concurrence aux hommes dans certains métiers, l’Académie a tout simplement décidé de condamner les termes féminins qui désignent des activités qu’ils estimaient leur apanage. Autrice, poétesse, peintresse, philosophesse disparaissent. La masculinisation de la langue est possible car la hiérarchie entre les genre est effective. C’est Beauzée, en 1767 qui écrit dans Grammaire générale que l’accord doit se faire « avec le genre le plus noble », en précisant que « le genre du masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ». Les gens qui se plaignent que rajouter un point médian et un « e » ne fait pas avancer la cause des femmes, et plus largement des minorités, et que ces personnes ne seront pas plus visibilisées avec une telle écriture, se permettent encore et toujours de parler à la place des concerné·es. Il s’agit avant tout de démasculiniser la langue, d’arrêter de considérer que le masculin incarne la neutralité et se positionne en haut de la pyramide linguistique. C’est une question de symbolique, de réfléchir aux mots qui encadrent, aux mots qui limitent.
Et à tou·tes celles et ceux qui crient haut et fort que l’écriture inclusive dénature la langue de Molière, cela serait surprenant qu’elles et ils utilisent le lexique et les tournures d’un français du XVIIe siècle. La langue est en perpétuelle évolution et l’écriture inclusive n’est pas le reflet d’une dictature féministe, mais juste de l’envie d’arrêter d’entendre que « le masculin l’emporte sur le féminin ». Car à force de le voir écrit implicitement dans notre beau français, certains y croient dur comme fer.
[1] Lucie Bellan, Thomas Messias, « Huit idées reçues ou crétineries sur l’écriture inclusive », Slate, 3 octobre 2017, [en ligne], URL : http://www.slate.fr/story/151982/huit-idees-recues-cretineries-ecriture-inclusive