La semaine dernière et durant deux jours avait lieu à la Gaîté Lyrique le Paris Electronic Festival. Une édition 2020 chamboulée mais captivante, qui a mis une nouvelle fois sur la table les préoccupations du public et des acteurs des musiques électroniques : quels futurs, dans quelles conditions et avec quels publics ?
Comment parler fêtes, musiques de danse, liberté de mouvement et d’expression quand tout s’y oppose ? C’est ce à quoi à tenter d’y répondre Technopol, l’organisme de référence des acteurs des musiques électroniques (à qui l’on doit la Techno Parade) à travers la Paris Electronic Week. Une semaine forcément chamboulée, raccourcie et limitée à son volet conférences et tables rondes, crise sanitaire oblige.
Que dire alors, de quoi parler quand tout semble si lointain, incertain, voire carrément sombre ? Du futur, tiens, mais d’un futur que l’on espère plus radieux. À l’image de sa série de discussions en direct initiées début juin intitulées « Danser Demain », Technopol a réunit sur deux jours quelques-uns des sujets importants : continuer à faire vivre une scène et à créer, protéger les publics et les artistes, les systèmes de domination, la libération de la parole des minorités, le rôle des tiers-lieux et des espaces publics, l’importance de la formation et la médiation… Autant de sujets complexes, qui touchent le fond et la forme et qui font appel à plusieurs recoins de nos vies et de nos pensées.
Impossible de répondre en une seule phrase à tout ceci, même si des solutions concrètes et parfois très simple existent. Pour essayer d’y voir plus clair et tenter de les traiter, la PEW s’est donc muée en tribune de (presque) tous les pans des musiques électroniques indépendantes et émergentes de notre territoire. Crise sanitaire oblige, il était difficile on l’imagine de faire venir des intervenants de toute la France, voir d’Europe. La place est donc plus large pour les acteurs parisiens, ce qui ne rend pas totalement justice à la diversité des profils et situations. Malgré tout, le panel présenté est large et permet en un coup d’oeil de voir où la PEW se situe : ouverte, curieuse et engagée, sur les sujets et les fronts où des changements sont nécessaires.
Dominations, exclusions, éducation
Sur le sujet de la domination tout d’abord, décliné en deux tables rondes durant deux jours : le festival a réunit des profils différents, ancrées dans le monde de la nuit et sensible à ses questions, car femmes et membres de la communauté LGBTQI+. Barbara Butch, Émilie Lefebvre (Soeurs Malsaines), TTristana, Rag, Cindie le Disez (Act Right) et Brünnhilde Cheillan (Petit Bain), toutes ont raconté ce que cela peut être, d’être une femme ou appartenant à une minorité dans un monde très masculin et peu diversifié. À demi-mots ou parfois plus explicitement, elles ont raconté les regards, les remarques et la violence plus globale d’une scène, celle des musiques électroniques indépendantes, qui tardent (ou ne souhaitent ?) pas s’ouvrir à la différence. Toutes ont pointé du doigt le manque d’information et d’éducation, même si le mot est sujet à discussion – pour TTristana, DJ et artiste trans, ce n’est pas aux minorités, qui subissent déjà beaucoup, d’éduquer les autres.
L’éducation, la médiation : ces deux piliers d’une fête plus sûre et d’une scène plus saine ont été largement répétés durant ces deux jours, et à juste titre. Informer et éduquer les publics, mais aussi tous les acteurs d’une soirée – de l’équipe de sécurité au bar, du vestiaire à l’équipe technique – est pour ainsi dire le nerf de la guerre. Sans information ou médiation, on ne peut espérer un changement des comportements ou des pratiques. Comment accueillir avec respect des publics LGBTQI+ lorsque l’on n’a pas ou très peu été en contact avec ? Comment prendre en charge les personnes victimes d’agressions, voire de viol ? Comment gérer les consommations de drogues, d’alcool, les pratiques à risques ?
Toutes les associations et collectifs engagés dans ces démarches – sur la réduction des risques par exemple, à travers AIDES, Médecins du Monde, Fêtez Clair ou Le Comité des Noctambules – l’ont répété : former, informer, il n’y a que par cette démarche que les résultats se font sentir.
Un futur, mais quel futur ?
Le futur, dans tout cela ? Le futur de la scène, des artistes et des DJs, qu’en est-il ? Après un été où les fêtes plus ou moins sauvages ont fleuri dans le bois de Vincennes, autour de grandes villes ou en rase campagne, les collectifs et organisateurs de soirées se tournent vers le printemps. Seul horizon possible, car faire la fête dans un lieu clos n’est toujours pas permis. En attendant, que faire ?
Adjoint à la mairie de Paris en charge du tourisme et de la vie nocturne, Frédéric Hocquart a pu donner quelques pistes : libérer des nouveaux espaces dans la ville et aux alentours pour y importer de la musique. Inutilisés, laissés à l’abandon ou même à re-transformer s’il n’y a plus d’utilisation du fait de la crise sanitaire, ces espaces pourraient accueillir des collectifs, promoteurs et aussi, des clubs. Prévu pour le printemps prochain, ces nouvelles zones de fête pourraient donc voir le jour et faire profiter toute la filière de la nuit. C’est sur ce point qu’il se démarque du reste des intervenants, du fait probablement de son statut institutionnel d’adjoint à la mairie.
Les clubs sont les grands oubliés de la PEW. Peu présents et surtout, peu cités ou considérés par les différentes tables rondes et panels de discussion, alors qu’ils sont véritablement essentiels à la vie nocturne et à une scène. Impossible d’imaginer Amsterdam ou encore Berlin sans une scène club forte et, bien que l’importance et la tradition de la club culture en France et à Paris soit moindre qu’en Europe, ils sont trop souvent relégués à leurs contraintes, à leur rigidité et à leur coût alors qu’ils sont indispensables. S’il fallait émettre une réserve sur cette grande série de discussions, elle serait celle-ci : ne pas oublier des acteurs, même s’ils semblent dépassés par les nuits en warehouse.
Quels bilans ?
Éduquer tous les publics, ouvrir les clubs, salles de concerts et collectifs à des minorités, proposer des programmations plus diverses, sensibiliser les participants d’une soirée aux questions de risques, que cela soit sur des comportements ou de la consommation de produits, éduquer aussi ces mêmes publics au respect sur une piste de danse. Enfin, ouvrir l’espace urbain, le ré-inventer dans les limites du possible pour proposer des zones de fêtes, même temporaire : la Paris Electronic Week aura brassé toutes ces questions et ces enjeux, qui vont pour certains au-delà du milieu des musiques électroniques indépendantes. Il en va parfois de société, de vivre ensemble et de tolérance et, par les temps qui courent, se répéter des évidences fait du bien.