L’hashtag : la nouvelle arme des opprimés

L’hashtag : la nouvelle arme des opprimés

«#IWasCorsica » est un exemple d’hashtag qui fleurit, sur le modèle de #MeToo, sur Twitter en ce début de juillet. Relayé par des victimes de violences sexuelles en Corse, il accompagne leurs témoignages poignants et relance le débat sur le choix d’une voie d’expression numérique plutôt que d’un recours direct à la justice.

On se l’approprie, s’en revendique et on l’inscrit fièrement à la fin de son message de 280 caractères. Le hashtag – anglicisme provenant des mots « dièse » et « étiquette » – est devenu roi dans la mobilisation des masses… Et en particulier pour faire entendre la voix des « opprimés ». 

Acte de soutien 

Souvent reflet d’une indignation, le hashtag impose des thématiques dans le débat public.  Et à l’heure où la force d’un mouvement social se quantifie par le nombre de retweets et de likes, sa concision le rend plus fort qu’un long discours et son utilisation permet de donner de la visibilité aux combats. Utilisé autant par les politiques que par des internautes, il est à la fois un acte militant de soutien à une cause et un élément rassembleur de ceux qui y adhèrent. 

Défendre une nouvelle cause sociale. Exprimer son soutien à des victimes. Dénoncer la stigmatisation d’une minorité. Tout cela est en effet devenu inimaginable sans inventer un nouveau slogan relayé sous forme d’hashtag. C’est dans cette continuité que s’inscrivent les #BlackLivesMatter, #MeToo, #JeNeSuisPasUnVirus, aspirant à donner la voix à ceux qui désirent contourner les institutions de justice traditionnelle. 

Même le gouvernement français s’est emparé du sujet, en publiant une note intitulée « Un hashtag peut-il faire justice » sur le site Viepublique.fr. Deux sociologues y arguaient sur la concurrence qui s’installe entre le « tribunal populaire » et la justice, évoquant l’éventuelle entorse à la présomption d’innocence. 

Morcellement et détournement

Mais la multiplication des hashtags aboutit parfois à un morcellement des luttes : chaque cas spécifique appelle son propre hashtag. Obstacle à la convergence ? Peut être. Si #MeToo avait récolté plus de 900 000 retweets un an après son apparition, il a inspiré de nouveaux slogans réutilisés pour d’autres revendications. Par exemple, #BalanceTonBoss invitait les victimes de harcèlement moral à s’exprimer sur les réseaux. 

Et gare aux risques de détournement, avec des hashtags qui peuvent frôler avec l’ironie. A l’occasion de la fermeture de la centrale de Fessenheim et les centaines d’emplois qui se sont trouvés menacés, #JeSuisFessenheim avait ainsi trouvé sa place dans le thread aux côtés d’autres « Je Suis ». 

De même, l’émission « Balance Ton Post » avait suscité des critiques dû à son nom en jeu de mots, dérivé de #BalanceTonPorc. Ces hashtags échappent donc souvent à leurs créateurs, qui n’ont plus de moyen de contrôler leur évolution. 

Labelliser les luttes

Conséquence inévitable de ce phénomène : la réduction sémantique. « Ces mots-clé ont remplacé les grands discours », diront certains. A qui d’autres répondront : « la simplicité est l’amie de l’efficacité ». Il reste que le champ d’expression du mouvement se retrouve réduit à l’utilisation de l’hashtag précis auquel il est affilié. Plus de place pour des manifestes créatifs, seul le bon hashtag compte. Par extension, on ne parle alors plus du mouvement de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, mais directement du « mouvement #MeToo ». 

Les luttes deviennent rapidement soumises à des « labels » – ou éléments de langage – par ceux qui les lancent. A la différence des manifestations physiques, par exemple, un « leader » du mouvement est difficilement identifiable sur les réseaux. Une fois la vague déclenchée, et le cortège d’internautes mobilisé, il devient difficile de la maîtriser ou lui donner un sens. Garder un hashtag commun devient alors un moyen de garder une cohérence d’ensemble, sans structuration physique.  

Mais l’objectif reste le même : attirer l’attention sur des problèmes absents du débat habituel. Créer un intérêt. Dans une interview au Point, Thierry Lhermitte disait que « Twitter, c’est le café de commerce à grande échelle ». Finalement, il pourrait aussi être le dernier rempart avant l’invisibilisation.