Les idoles de musique photographiées par Pierre et sublimées en peinture par Gilles se sont exposées à la Philharmonie de Paris peu avant le confinement. Transformées en rois et reines, dieux ou déesses, d’ici ou d’ailleurs, ces idoles s’affichaient sous un autre jour et dans un tout autre espace-temps. Celui d’un univers pailleté et kitsch, mystique et pop, libre et détonnant. Mais qu’y a-t-il derrière ces œuvres hautes en couleur dans lesquelles siègent les nouvelles divinités du monde ?
Chanteurs et chanteuses : nouvelles idoles du monde contemporain
Les idoles religieuses sont, depuis quelques années déjà, concurrencées par les idoles politiques, sportives ou musicales. Les étoiles de la chanson et de la musique comptent sans doute le plus grand nombre de fans. Elles nous accompagnent dans nos moments de doute, de joie, à chaque moment de notre vie. Elles mettent des mots sur des émotions, situations. Elles chantent avec justesse la condition humaine. Pierre et Gilles l’ont bien compris. C’est ainsi qu’avec eux les stars de la musique, détentrices de dons particuliers, enfilent la tenue des dieux et des déesses. Michael Jackson par exemple, roi américain de la pop à qui il est rendu hommage, se dévoile en éclatant dieu hindou, pétant de couleurs, devant des dévotes, tandis que Momoko Kikuchi, star de la pop japonaise, apparaît en douce Vénus sortant des flots, entourée de fausses perles nacrées et de feuilles dorées. Peinture religieuse, vieux mythes et art du portrait sont désormais au service des étoiles internationales de la musique.
Ces dernières, avec les chansons, concerts, posters, ont remplacé les divinités traditionnelles, bibles, prêches et ex-voto. Le fanatisme musical s’est substitué au fanatisme religieux. L’installation de Pierre et Gilles imaginant la chambre d’un fan absolu de Sylvie Vartan en est la démonstration pimpante et sensible. Idem pour l’Autel de la musique, installation composée de mille bibelots célébrant les stars de la musique passée et actuelle. Cette musique justement, pop, rock, disco, résonnait dans nos oreilles. Car petite surprise de l’expo, une playlist nous accompagnait, préparée avec soin par le duo.
Des étoiles de la musique à la beauté divine
L’incroyable beauté des idoles et des décors subjugue. Elle réenchante la vie dure et morose. Quiconque connaît le travail de Pierre et Gilles s’attend à voir des corps idéalisés, où poitrines, fesses et sexes sont à l’air. Pensez à leurs Eve, doubles de Barbie ou à leurs Saint-Sébastien, copies de Ken. Ici, Arielle Dombasle, naïade et sainte à la fois, pose pour Playboy en plan américain, tandis que les 2be3, marins chippendales, posent pour Têtu en plan pied. Les idoles, en gloire et attractives, sont figées dans une jeunesse impérissable : Dieu ne meurt pas. Des Vénus, des Apollon, qu’on se plaît à regarder tant on veut les approcher, tant on veut les embrasser. Cet aspect piquant n’est pas dénué de douceur. Il suffit d’observer ces décors fleuris et sucrés. La rencontre entre deux registres opposés (attitude suggestive et décor enfantin par exemple) engendre des œuvres singulières et géniales. La vision des corps chauds injecte une dose de sensualité à ce qui ne pourrait être qu’un vieux décor Disney. La scénographie soignée et variée, mystérieuse ou bon enfant, injecte, quant à elle, une dose de féerie à ce qui ne pourrait être qu’une vieille image érotique.
Le ver est dans le fruit
Parmi ces nouvelles divinités, peu sont ainsi mises à nu. Ce n’est donc pas leur corps qu’on regarde mais leur expression, souvent triste et sérieuse, malgré tous les ballons, jouets, fleurs et ors du monde. Une larme ici, une goutte de sang là. Stromae pleure, Pierre Lapointe saigne. L’arc-en-ciel cache le ciel gris. Les idoles de musique, intouchables et célestes, expriment ici toute leur humanité. Et avec ironie ! Le chanteur d’Alors on danse aux textes si désabusés mais si profonds se retrouve en effet propulsé dans un sublime décor de mariage, rempli de fausses fleurs polychromes. L’interprète du Monarque des Indes, aux sonorités si légères, se dresse en froid chasseur sous les flocons. Le décor est parfois infernal : là pour dénoncer les malheurs du monde. Pierre et Gilles ont vu passer l’épidémie du sida, les guerres et pollutions. C’est dans un environnement de mort, une déchetterie, qu’est envoyé Matthieu Chedid, représenté sous les traits d’un jouet abandonné. En proie à la tristesse, à la colère, au rejet, les idoles – d’habitude si remarquables – nous émeuvent cette fois-ci par leur fragilité. Mais surtout, elles nous interrogent sur leur statut, nos croyances, les apparences.
Une fois plongé dans l’œuvre de Pierre et Gilles, on se rend compte que derrière l’artificialité apparente se cache la poésie. Des bonbons acidulés qui, une fois suçotés, se révèlent doux et sucrés. On l’aura compris, les idoles de musique sont admirées parce qu’elles agissent sur nous. Elles détiennent le pouvoir particulier de nous toucher par leur mélodie, leur chant. Outre leur talent, on les admire pour leur beauté, leur charme, leur style. Elles incarnent un idéal, qui nous inspire ou nous excite. On les admire parce que, même sous la pression, elles tiennent debout. Nous inspirant la force. A ces stars de la musique, il faudrait ajouter celles venant du cinéma, du mannequinat, du sport, objets de culte elles-aussi. Ce qui est sûr, c’est que Pierre et Gilles, dans leur rôle d’artistes, nous dévoilent avec originalité et beauté les multiples réalités entourant les idoles.