Image tirée du documentaire « Italo Disco Legacy »

Italo-disco : pleurer sur un dancefloor

Comment un genre aussi over the top, clinquant et caricatural, a-t-il pu traverser l’histoire au point d’être toujours aussi pertinent ? Et surtout, pourquoi se sent-on pris dans un tourbillon inattendu d’émotions fortes à l’écouter ?

Écouter de l’italo-disco, ou Italo, c’est faire une expérience extra-ordinaire : on est instantanément transporté dans un gigantesque bordel sonore, comme on n’en fait plus trop de nos jours. Un mélange qui ne se suffit pas de quelques adjectifs ou d’une définition succincte. L’Italo, c’est bien sûr une belle dose de synthétiseurs et de boîtes à rythmes, des vocaux criards et une tendance à aller vers un kitch flirtant avec le mauvais goût. Mais comme tous les genres musicaux à forte propension émotionnelle, l’Italo est presque plus une expérience qu’une musique. 

Écouter « I Feel Love » de Giorgio Moroder, titre non pas fondateur du genre mais l’un des plus connus, c’est, à l’image de 90% de la production de l’époque, se sentir propulsé dans un futur métallique à bord d’un vaisseau spatial chromé, brillant et clinquant, à une vitesse encore plus grande que celle de la lumière. Bombardé de mélodies entêtantes, de riffs de synthés et de beats futuristo-kitch, on se prend de grandes claques d’émotions condensées, lumineuses, si possible à très fort volume. Sans hiérarchie précise, des vagues de sourires nous atteignent sans interruption, jusqu’à un sentiment d’extase robotique. Cette surcharge d’émotions, compressées en quelques minutes et trois refrains, n’est jamais très loin d’une autre facette plus discrète (forcément) du genre : celle d’une certaine tristesse heureuse, où la joie précède de quelques millisecondes une nostalgie douce. Pourtant, l’Italo n’est pas une fête triste. Au contraire, tout brille de mille feux et encore plus. Mais, avec cette décharge d’émotions, on se retrouve presque au même moment face à un sentiment doux-amer. Une mélancolie de fin de l’été, quand il faut quitter la station balnéaire qui nous a procuré tant de joie, direction la grisaille quotidienne mais bon, allez, il nous reste une nuit pour prolonger le rêve. 

C’est toute la magie de ces riffs de synthés complètement dingue : derrière leurs aspects criards, ils nous touchent plus profondément. Un talent étrange, presque égal à un maléfice. Et à tout charme, une formule magique ? Et bien non. Pas de ça ici : peu de genres sont aussi hétérogènes que l’Italo. De l’épopée déjà citée de Giorgio chantée par Donna Summer, on trouve, pêle-mêle, le « Faces » de Clio, « Boys Boys » de Sabrina, « Problèmes d’Amour » d’Alexander Robotnick, « Dolce Vita » de Ryan Paris, « Another Life » de Kano ou encore « Dirty Talk » de Klein & MBO. Difficile de trouver un terrain commun à tous ces tubes supersoniques et, s’il en fallait un, cela serait l’utilisation de synthés et de boîtes à rythmes. 

Mais alors, d’où vient cette synthèse folie ? Chose surprenante, il est très difficile de remonter le fil fondateur de l’apparition du terme « italo-disco » : personne ne sait vraiment quand le genre est apparu. La mention de « spaghetti-disco » apparaît pour la première fois en 78 sur « I’m A Man », reprise du tube de Spencer Davis Group par Macho. Puis, la première compilation du label allemand ZYX en 1983 fait mention du mot en la nommant Italo Boot Mix. D’innombrables volumes suivront, toutes mettant en scène la Botte, les couleurs du drapeau, la pizza, les trois à la fois ; bref, tout ce que l’Europe et le Monde voient comme italien. 

Entre ces deux dates, tout ce que l’on sait c’est que le terme circulait déjà et que les premiers tubes commençaient à tomber sur le coin de la tête des clubs d’Italie, forcément, mais très vite d’Europe et des États-Unis. Car au même moment, la disco vivait son chant du cygne, bouffée par les disques interchangeables et commerciaux : l’arrivée d’une disco synthétique, délestée d’effets de manche mais riche en beat a fini d’enterrer les paillettes et les super-club new-yorkais. S’en est suivi un aller-retour stylistique important, probablement sous-évalué entre les DJs et producteurs italiens et la plateforme de la dance d’alors, NYC. La Hi-NRG, sous-genre largement créé par Patrick Cowley, s’inspire directement de l’Italo en l’accélérant à l’extrême – ce qui la rend hyper sexuée, au passage. L’Italo-house – facile à deviner, celle-là – est la suite presque logique de sa grande soeur : plus de beat, moins de synthés, plus de BPM et moins de fioritures. Et toujours, en provenance de la Botte.

Entre 83 et 88, c’est la période faste de l’Italo, qui fait le tour du monde et vend des containers de disques, se plaçant aux sommets des charts en France, en Angleterre, en Allemagne et même aux US. Des hymnes de Sabrina aux expérimentations de Klein & MBO, rien ne sera plus jamais comme avant dans la dance music et la musique tout court, et ce n’est pas exagéré de dire cela, tant le genre protéiforme, multiple et en même temps unique, a marqué. De nombreux DJs et producteurs de Détroit dont certains ont inventé rien de moins que la techno, citent l’Italo et ses cavalcades synthétiques comme influence. Le genre continue d’imprégner avec force la production actuelle : au hasard, le label Italians Do It Better, dirigé par le brumeux Johnny Jewel et qui, bien qu’éloigné des clubs, compose une musique (Chromatics, Desire, Glass Candy) pop lourde en synthétiseurs et marqueurs italo. Des artistes comme Teki Latex lui dédie des mixtapes folles ou des groupes Facebook dédiés au genre (rien d’anormal, ceci-dit) Moustache Records, le label de David Vunk, poursuit une quête infinie vers le morceau italo parfait et Dark Entries, label américain, réédite des trésors de disco sur-vitaminée. Et que dire de cette balle de Skatebård ? De façon plus générale, il n’est pas impossible que vous ayez, à n’importe quel moment de l’année 2019 – 2020 est bel et bien foutu, on le sait – entendu une bombe Italo se frayer un chemin jusqu’à vos oreilles dans les clubs. Et l’on s’en voudrait de ne pas citer la Nu-Disco et la Chillwave, deux micro-courants des années 10’s qui ont, eux aussi, déterré avec plus ou moins de justesse et de respect le cercueil originel, refermé il y a quarante années plus tôt aux portes d’une autre révolution musicale, la house. Mais c’est une autre histoire et on préfère, là tout de suite, plonger sa tête dans des enceintes.

Pour découvrir un peu plus sur l’Italo-Disco, nous avons 2 supers podcasts à vous faire écouter ici :
https://podcast.ausha.co/simonetsimone/discorama-1-italo-disco-simon-et-simone
https://podcast.ausha.co/simonetsimone/discorama-51-l-italo-disco-vol-2