Hardcore, gabber, indus et techno musclée : longtemps reléguées aux marges du circuit classique des clubs, les musiques électroniques à sensations (très) fortes ont fait un retour fracassant depuis quelques années et occupent désormais nos nuits. Entre culture de niche, expériences collectives et vraies catharsis, cette explosion de bpm marque nos corps et nos esprits.

Avis de tempête sur le dancefloor

Hardcore, gabber, indus et techno musclée : longtemps reléguées aux marges du circuit classique des clubs, les musiques électroniques à sensations (très) fortes ont fait un retour fracassant depuis quelques années et occupent désormais nos nuits. Entre culture de niche, expériences collectives et vraies catharsis, cette explosion de bpm marque nos corps et nos esprits.

C’est probablement parce que les clubs nous manquent que l’on se met à en reparler. J’ai une vision probablement romantique de la chose mais tout ce dont j’ai envie de me souvenir maintenant, ce n’est pas la queue interminable, la pinte coupée à l’eau à 9 €, les toilettes immondes, le moindre centimètre carré de sol collant, les gens agissant comme s’ils étaient seuls au milieu de cette piste et que leurs mouvements de bras ne risquaient pas d’éborgner quelqu’un. 

Non, tout ce dont j’ai envie de me souvenir, c’est la force physique d’un soundsystem sur son corps ; vibrer en rythme avec des inconnu.e.s, seul mais à plusieurs dans une foule anonyme mais complice ; s’immerger dans une fosse, choisir un coin qui sera un terrain de jeux pour le reste de la nuit. Je pourrais continuer comme ça longtemps. Toutes ces choses-là ont (et auront, je l’espère, lieu dans un futur pas trop lointain) eu lieu dans d’innombrables nuits, clubs, warehouses, open air, squat, champs à l’abandon, quel que soit le style de musique proposé. C’est la force de la nuit, de la culture club : elle se renouvelle chaque soir. À chaque fois, un terrain vierge, neutre, est posé devant nous et les possibilités sont infinies.

Ces scènes, j’en ai vécu des dizaines et des dizaines – plutôt en clubs, les warehouses m’ont toujours agacé, ne me jetez pas la pierre. Mais il est un registre musical où les choses sont plus brutales et intenses qu’ailleurs, et qui a rapidement pris le dessus sur le reste : la techno. Non pas celle des origines, quoiqu’elle puisse résonner parfois, mais plutôt ses sous-genres option vitesse, puissance et intensité. Hard, Hard-Techno, Hardcore, Gabber, Indus, Trance : des mots qui explosent tout de suite dans nos têtes, qui nous rappellent à nos sorties du week-end parfois trop longues d’une vie d’avant. Qui nous rappellent aussi que, depuis quelques années, ces musiques, loin d’avoir une position marginale, ont petit à petit et par cercles concentriques, investi nos nuits. Depuis les grandes périphéries jusqu’au coeur de la ville, par à-coups et par bonds, ces chevauchées métalliques à plus de 140 BPM prennent le pouvoir, infusent nos playlists et colorent les soundsystems d’un noir d’encre. Il n’en a pas toujours été ainsi. 

La fête hors les murs

Au commencement, il y a une petite décennie – soit un temps canonique dans le monde de la nuit – Paris mourrait en silence. La ville était sous cloche, les clubs n’attiraient plus personne et fermaient les uns après les autres, fautes de normes impossible à tenir, des frais de gestion et de mises aux normes toujours plus conséquentes pour les établissements et des groupes de voisinages prompts à dénoncer le moindre jeune élevant un peu la voix après 22h01 en bas de chez eux avec une rapidité déconcertante. Une pétition circulait alors, « Paris, Quand la nuit meurt en silence », lancée par Éric Labbé, disquaire et organisateur de soirées. Prise de conscience massive et « succès » immédiat pour ce texte fort, beaucoup de fêtards annulent leurs week-ends à Berlin, Londres ou Barcelone et restent en ville : une nouvelle génération de collectifs, associations et promoteurs se jettent dans la bataille, avec le succès que l’on connait à présent. Paris est redevenue une place forte de la fête, même si les choses ne sont toujours pas simples et que les contraintes restent extrêmement fortes.

Je simplifie, car cela nécessiterait un autre article : plutôt que de se battre avec la police et le voisinage, autant investir l’extérieur de la ville. Terrain de jeu immense, vierge de toutes contraintes, le Grand Paris et ses kilomètres carrés de bâtiments à l’abandon est le premier point de chute des nouveaux pionniers : Die Natch, Champ Libre, Cracki – avant d’être un label, il fût un solide organisateur de raves – Microclimat, rapidement rejoins par Possession, Subtyl et Fée Croquer, avant d’être eux-mêmes rejoins par d’autres. La liste est impossible à tenir, mais, bien que tous aient leurs propres visions de la fête, le point commun reste la liberté, l’inclusion de minorités, et bien sûr la techno. 

Communion, communauté

Flash lumineux aveuglant, sueur, grondement : on ne retrouve pas le même programme musical que l’on passe d’un collectif à un autre, d’un hangar à un club, mais il y a des éléments qui reste. Le bruit et de la fureur, catalysés par un mur d’enceintes, nous frappe avec la même force. L’expérience est prenante, totale, grisante. La force de la nuit, de cet espace clos et paradoxalement ouvert, prend alors un autre sens sous ces musiques extrêmes. Car la fête, c’est d’abord un lieu conçu pour recréer, le temps de quelques heures (ou beaucoup plus) un monde en soi, libéré des contraintes extérieures, obéissant à ses propres règles et où toutes les personnes présentes s’y sentent bien. On s’y sent bien parce que l’on est dans un groupe hétérogène, de différentes origines sociales, culturelles qui disparaissent au profit de la musique et d’une communion. On est seul mais accompagné, différents mais ensemble, connecté·e·s à une musique qui nous portent vers un ailleurs parfois plus séduisant que notre quotidien. 

C’est probablement un peu utopique, ou du moins romancé, mais c’est un point cardinal de la fête. Alors, quand on ajoute à tout cela une musique créée, jouée et écoutée par les marges, le sentiment d’appartenance et d’union sur un sol bétonné est décuplé. La techno et surtout ses variantes sont une culture de niche ; bien que démocratisée et drainant des milliers de personnes tous les week-end, cela reste un micro-phénomène à l’échelle d’une ville ou d’une société. 

Cette expérience collective, forte et primordiale, est un graal en soi ; on la cherche tou·te·s, je la cherche constamment, c’est une des raisons pour laquelle on se rue devant des DJs. On cherche ce moment magique, où on ne fait plus qu’un·e avec la musique, dans une épiphanie qui transcende l’aspect simplement festif et récréatif du moment. Dans la techno et ses sous-genres bodybuildés, cette épiphanie, cette transe même, est presque plus facilement atteignable. La musique en elle-même joue un rôle : on n’acquiert pas les mêmes sensations devant un groupe de rock, un jam de jazz ou un disque disco. 

Catharsis, expiation

Ces rythmes répétitifs, rapides sont d’autant d’incantations à la fête et au lâcher-prise. C’est de cela qu’il est question aussi, lorsque l’on s’adonne à notre sport favori chaque nuit venue : lâcher-prise. Oublier, fermer nos esprits à autre chose qu’au moment présent et se laisser emporter par tout ce qui nous entoure. Oublier les restrictions et les barrières sociales : laisser son quotidien sur la piste, entre deux gouttes de sueur. 

Inutile de se lancer dans une analyse fine de notre temps : suffisamment de sujets minent notre société pour que l’on éprouve l’envie de s’y détourner une fois la nuit venue. Ils réapparaitront le lendemain, c’est une certitude. Le temps d’une nuit, on laisse tout à la porte, au vestiaire ou sur la piste : la fête est une catharsis et, comme toujours, les musiques qui y résonnent ont leur part de responsabilité. Une avalanche de beats sourds et métalliques marque nos corps et nos esprits. Hardcore, Hard-Techno, Indus, Gabber : par leurs formes et leurs expressions, tous conduisent à un momentum bourré d’énergie, qui nous arrive en plein visage, frontalement. On ressort essoré et lessivé de cette pluie de métal. Une expiation, un gommage des sens nécessaire. Lavé de toutes aspérités, avec quelques points de vie en moins : ces lendemains nous manquent.