“LOVE , REN HANG” à la Maison Européenn de la Photographie

Pour la première fois en France, une exposition a mis à l’honneur l’oeuvre du jeune et talentueux photographe chinois Ren Hang. Elle s’est tenue du 6 mars au 26 mai à la Maison Européenne de la Photographie et s’annonçait comme l’une des expositions phares de ce début d’année.

Si une grande partie de la vie de Ren Hang consistait en une terrible lutte contre la dépression dont il faisait état dans ses écrits et poèmes et qui l’a conduit au suicide en 2017, son oeuvre n’en reste pas moins prégnante de vie et criante de liberté. C’est en tout cas ce qui frappe en découvrant la centaine de photos qui compose l’exposition. Son esthétique reconnaissable entre mille met à l’honneur sur de grands tirages des corps chinois nus dans des poses surprenantes voire burlesques et photographiés avec un simple appareil photo numérique, parfois de nuit et avec le flash pour exacerber les couleurs.

Les premières photos de l’exposition montrent des corps nus donc, prenant la pose dans des scènes nocturnes dans la nature. Une tête à la peau laiteuse et aux lèvres rouges émerge de l’eau d’un lac au milieu des nénuphars verts. Deux filles nues et aux cheveux noirs  sont accroupies l’une à côté de l’autre devant un buisson. Ca surprend et ça intrigue. C’est moderne, c’est vivant, c’est vibrant. C’est d’ailleurs ce qui vaut à Ren Hang d’être très vite remarqué par Vice Japon en 2010. Son travail a quelque chose d’insouciant qui peut rappeler certains aspects du travail de Ryan McGinley, Larry Clark dans une certaine mesure ou celui de Terry Richardson, l’une de ses influences avérées ; à la différence près que la représentativité a changé de camp et ne se fonde plus uniquement sur des corps blancs aux cheveux blonds. 

Plus le visiteur avance dans l’exposition et plus les expérimentations de l’artiste gagnent en intensité. Expérimentations chromatiques : aux peaux laiteuses et aux cheveux noirs de jais des modèles chinois viennent se confronter le vert des plantes, le bleu du ciel ou encore le rouge vif d’un rouge à lèvre ou d’un vernis à ongle. Mais surtout expérimentations corporelles. Les corps simplement juxtaposés maintenant s’enchevêtrent, se frottent et même parfois se pénètrent – doigts dans la bouche, orteil dans la bouche, main entre les cuisses, tête entre les fesses… Les poses sont étranges, elles ne semblent ni naturelles ni confortables. Elles sont presque subies par les modèles dont les visages restent inexpressifs. Le spectateur comprend alors rapidement que la nudité n’a rien de pornographique ici. Elle n’excite pas, elle ne suscite pas le désir mais elle questionne. Elle donne voir le corps sous un autre jour ; le corps est alors désacralisé. Il n’est plus instrument de désir ou de plaisir mais simple matière destinée à tester, créer et composer la photo. Une succession de fessiers créent des dunes. Des têtes entourées de bras forment des rosaces : l’assemblage de ces corps crée des formes et des motifs comme si chaque corps ou chaque membre n’était qu’une simple pièce du puzzle de l’oeuvre de l’artiste, de la matière créative pour composer ses photos. 

 Ren Hang nous montre alors à travers son regard aiguisé toute la richesse de la nudité quand elle est sublimée par l’art. Un travail paradoxalement subversif puisqu’il fait ainsi tout l’opposé de ce pour quoi il est censuré. Car si le nu est monnaie courante en Occident, dans son pays la Chine, ses photos ont très vite été censurées à cause de la nudité jugée “à caractère pornographique”. C’est d’ailleurs l’autre tour de force de l’artiste : s’il parvient à inventer le nu en Chine, il parvient également à le réinventer pour l’Occident grâce à son regard si particulier.

C’est donc dans un contexte de répression qu’oeuvrait l’artiste, une répression qui ne faisait cependant que l’encourager à continuer dans cette voie ; afin de continuer à expérimenter et à produire des photos criantes d’expressivité et de liberté. Il nous a ainsi légué à sa mort des milliers de clichés à découvrir et à redécouvrir.