Un matelas abandonné sur le trottoir… métamorphosé en une part de pizza. Un amas de déchets de constructions transformé en installation éphémère. A coup de pinceau, de ciseaux, et avec une imagination décalée, Lor-K improvise de véritables objets d’art à partir des déchets de rue. Si ses créations sont éphémères, sur son site Internet, chacune d’elles est accompagnée d’une explication détaillée sur son sens et invite le spectateur à interroger son quotidien.
De la frustration à l’action
Alors que s’éveillait tout juste sa passion pour l’art, un parcours scolaire tortueux et difficile a mené la jeune femme vers le monde du commerce. Une filière choisie par un concours de circonstances, si ce n’est par dépit, et où elle trainait des pieds. « J’enchainais les stages en entreprises et passais mes journées à vendre toutes sortes d’objets, se souvient l’artiste, mais en parallèle j’observais aussi des masses d’objets abandonnés dans la rue. J’ai rapidement été choquée par notre société de consommation ». Frustrée par ces missions vides de sens, Lor-K ressentait déjà l’inexorable volonté d’explorer une autre voie.
Quelques années plus tard, sur les bancs de la Sorbonne, une évidence lui est apparue : les déchets ont un message à faire passer. Lor-K a alors cessé de faire rimer le street-art aux peintures sur un mur. Et au-delà d’être un support, les déchets sont devenu pour elle une matière première, abondante et gratuite, qui envahit nos villes.
Toujours munie de sa bombe et de sa caméra, l’artiste sillonne les rues parisiennes, se les approprie, en quête d’une nouvelle source d’inspiration. Ses installations amusent et surprennent les passants, mais rares sont celles qui durent plus de vingt-quatre heures. Emportées par des camions poubelle, elles sont immortalisées à travers les photos et vidéos que Lor-K veille à prendre à chaque moment de création.
Son projet intitulé Objecticides, par exemple, consistait à « faire saigner » les objets qu’elle croisait sur son chemin…Il s’agit d’ailleurs d’un de ses projets les plus aboutis et marquants, qui consacre, selon elle, la dépossession matérialiste : «celui qui veut s’approprier mon œuvre n’en aura inévitablement qu’une partie. On pourra ramasser la télévision, mais pas la tâche de sang sur le béton. ».
Une réflexion sur le recyclage
La capitale n’est pas seulement le terrain que Lor-K a choisi pour déployer ses œuvres, mais surtout le témoin de son engagement. Le credo de l’artiste ? Mettre en lumière les possibilités de valoriser ces déchets, qui passent généralement inaperçus. Et contrairement aux apparences, le recyclage n’est pas sa revendication première. Cette pratique, qu’elle qualifie de mascarade, est certes en vogue ces dernières années, mais l’artiste constate une fragmentation sociale et une hypocrisie autour de la question. « Beaucoup s’imaginent encore que ce sont surtout les pauvres qui ramassent les déchets dans la rue, ou les étudiants qui veulent meubler leur appartement », relève-t-elle.
Les dépôts sauvages qui surgissent à tous les coins de rue l’exaspèrent. Mais la politique de recyclage urbaine la désole encore plus : « à Paris, maintenant qu’il est possible de déclarer son objet en ligne sur le site de la mairie, on n’attend plus le passage des encombrants, on ne va plus à la déchetterie. La collecte est devenue quotidienne, à toutes heures. Résultat : une table qui aurait pu vivre une autre existence ne va pas rester assez longtemps sur le trottoir ». Cet échec est pour elle le fruit de la démesure, d’une consommation de masse qui touche toutes les classes sociales. « Au lieu d’avoir du temps pour revaloriser ces objets, on accélère leur entrée dans le cycle des déchets», conclut-elle.
De la récup’ au minimalisme
Pourtant, l’appartement de Lor-K est l’incarnation même du minimalisme. Peu de décoration, seuls quelques meubles essentiels. Un contraste aussi frappant que paradoxal avec sa démarche de travail. Or cela est loin d’avoir toujours été le cas : « Avant, j’étais tout le temps dans une démarche de récupération. J’entassais tout dans ma voiture, ça me rendait folle de laisser tout cela dehors ! », s’exclame la jeune femme. Mais l’espace de sa voiture étant limité, pour faire rentrer un objet, elle devait en abandonner un autre. « J’ai eu envie de m’émanciper de cette emprise. Et j’ai compris qu’à travers ces déclinaisons infinies, le confort matériel nous est vendu comme moyen d’exister, alors que l’apparence des objets qui nous entourent est très rarement essentielle. » De cette expérience, l’artiste a gardé quelques réflexes. Comme par exemple s’habiller toujours en friperie et en brocantes – un gage de bon sens, selon elle, entre autres en termes de prix.