Le jour où les Grands Voisins ont mis la clé sous la porte

Le jour où les Grands Voisins ont mis la clé sous la porte

Les adieux ont été difficiles, ce 26 septembre, pour les résidents et les habitués des Grands Voisins, lieu éphémère loti dans le 14e arrondissement. Le site Saint Vincent de Paul, qui va être transformé en éco-quartier à l’horizon de 2023, a été pendant plusieurs années un repère de solidarité et d’inclusivité. Reportage sur place pour la dernière journée. 

Dès le début de l’après-midi, une file d’attente s’était formée à l’entrée de l’ancien hôpital. Et l’événement a été si plébiscité que les visiteurs étaient autorisés à entrer seulement sur liste. Même les restrictions liées au Covid n’ont pas empêché des dizaines de Parisiens, des familles, des bobos, des jeunes, et même des personnes plus âgées, de se rendre à la fête. Malgré le temps nuageux, sous le regard bienveillant de la statue de St Vincent de Paul, un DJ set lançait la musique, tandis que des résidents en costumes aussi colorés qu’excentriques se déhanchaient dans la Cour Robin. Le public profitait des derniers moments sur les bancs en bois, laissant doucement s’installer un air de nostalgie. 

L’aventure des Grands Voisins a commencé en 2015, lorsque trois associations ont investi les locaux de l’hôpital Saint Vincent de Paul, en accord avec l’APHP. Leur mantra : inclusivité et durabilité. Mais ce qui semblait au départ un projet irréaliste et ambitieux a rapidement été couronné de succès. Concrètement, les Grands Voisins ont ouvert leurs portes aux personnes en recherche d’hébergement d’urgence, tout en proposant des activités culturelles et des opportunités d’emploi. Le lieu est ainsi devenu incontournable pour déguster une bière artisanale ou un jus d’hibiscus, flâner dans les cours, ou chiner quelques vêtement vintage à la Ressourcerie. 

Une semaine plus tôt, c’est justement la Ressourcerie – une friperie solidaire installée sur le site – qui célébrait son dernier jour. Si cette dernière a déjà prévu de déménager un peu plus loin dans le quatorzième arrondissement, ce n’est pas le cas pour tous les membres de la famille des Grands Voisins. Le 27 septembre, date planifiée depuis plusieurs mois, les artisans et résidents permanents du site étaient priés de quitter les lieux. 

À l’heure actuelle, près de dix personnes sont encore en attente d’un lieu alternatif de vie. Mais l’association Aurore, qui s’occupe de la partie hébergement, a l’habitude de travailler dans l’urgence. Pour sa représentante, Perrine Dequecker, ce n’est l’affaire que d’une quinzaine de jours. Deux centres d’hébergement du site ont d’ores et déjà été transférés vers d’autres endroits à Paris ou dans la petite couronne, or l’avenir du troisième centre reste incertain. Chacun des résidents s’est vu proposer une solution individuelle, en dialogue avec la Mairie. 

Les artisans, installés dans les galeries qui entouraient les deux cours, ont également dû plier bagages, et déployer leur activité autre part. Certains ont déjà trouvé de nouveaux locaux, d’autres vont poursuivre depuis chez eux, mais un constat semble faire consensus : aucune coordination n’a été mise en place pour les démarches de déménagement. “Le COVID est passé par là, et de nombreux créateurs ont dû quitter les lieux entre temps”, explique Emilie, qui s’est installée avec son atelier de papeterie créative en août 2020. 

Pour d’autres, pas question de tirer un trait sur l’aventure des Grands Voisins. L’artiste et plasticienne Isabelle Delatouche compte bien continuer son projet “Les Petites Voisines” malgré la fermeture. Avec plusieurs résidents, elle s’est attachée à préserver la biodiversité du Site Saint Vincent de Paul, en s’occupant des plantes qui y étaient présentes. Celles-ci seront temporairement transférées vers une ferme à Nanterre, puis Isabelle tentera de convaincre les habitants du nouveau quartier de les replanter. 

Derrière le bar La Lingerie, les travaux ont déjà commencé, rappelant comme vite le temps est passé depuis les premiers événements aux Grands Voisins. Mais il n’y a pas de doute: même après leur fermeture, les Grands Voisins éveilleront le sourire de ceux qui y les ont construits. Ballo, le concierge du site, et membre de l’association Aurore depuis 5 ans, regrette : “Ce ne sera plus que les Petits Voisins maintenant. Je ne sais pas ce que je vais faire maintenant, mais je vais sûrement me sentir moins bien qu’ici”.